Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/399

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car je me suis figuré qu’il n’était peut-être pas convenable de conter à ces bonnes jeunes filles de telles balivernes, qu’il vaudrait mieux leur laisser ignorer, et de leur donner des hommes des idées aussi mauvaises que celles qu’elles doivent se former nécessairement d’après la figure de l’aventurier. — Nullement, répliqua-t-il, tu ne devines pas. Et comment devinerais-tu ? Ces bonnes jeunes filles ne sont pas si ignorantes de ces choses que tu le crois ; car la nombreuse société qui les entoure leur donne lieu de faire bien des réflexions, et il existe justement, au delà du Rhin, un couple tel que tu l’as dépeint, mais avec l’exagération du conte. Le mari est grand, robuste et pesant, la femme si mignonne et si délicate, qu’il pourrait la porter sur la main. Le reste de leur histoire s’accorde à tel point avec ton récit que les jeunes filles m’ont demandé sérieusement si tu connaissais ces personnes, et si c’est par malice que tu en as fait la peinture. Je leur ai assuré que non, et tu feras bien de ne pas écrire ton conte. Avec des délais et des prétextes nous trouverons une excuse. » Je fus bien surpris, car je n’avais eu en vue aucun couple de la rive gauche ou de la rive droite ; je n’aurais même pas su dire comment cette idée m’était venue. J’aimais à occuper ma pensée de ces badinages, sans aucune allusion, et je croyais qu’il devait en être de même de mes auditeurs.

Revenu dans la ville à mes études, je les trouvai plus pénibles qu’auparavant, car l’homme né pour l’activité entreprend trop de choses et se surcharge de travaux : cela réussit parfaitement jusqu’à ce qu’un obstacle physique ou moral survienne, pour rendre manifeste la disproportion des forces et de l’entreprise. Je poursuivais mes études de droit avec l’application nécessaire pour être en état de prendre mes degrés avec quelque honneur. La médecine m’attirait, parce qu’elle me dévoilait ou du moins me montrait la nature sous toutes ses faces, et l’habitude et mon entourage m’enchaînaient à cette étude. Je devais aussi à la société une part de mon temps et de mon attention, car j’avais eu avec plusieurs familles des rapports aussi doux qu’honorables. Mais j’aurais porté et continué tout cela, si Herder ne m’avait imposé un fardeau qui me pesait outre mesure. Il avait déchiré le rideau qui cachait à mes yeux