Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/413

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surai que ces moucherons seuls pourraient m’ôter la pensée qu’un Dieu sage et bon ait créé le monde. Le pieux vieillard me rappela sérieusement à l’ordre, et m’expliqua que ces mouches et toute espèce de vermine n’étaient nées qu’après la chute de nos premiers parents, ou que, s’il yen avait dans le paradis, elles ne faisaient que bourdonner doucement et ne piquaient point. Je me sentis apaisé sur-le-champ, car nous parvenons toujours à calmer un homme en colère quand nous réussissons à le faire sourire. Je lui assurai cependant que l’ange armé du glaive flamboyant n’était point nécessaire pour chasser du jardin les époux coupables, et je lui demandai la permission de me figurer que les grands moucherons du Tigre et de l’Euphrate auraient bien suffi. Par là je le fis rire à mon tour ; car le bon pasteur entendait la plaisanterie ou du moins la laissait passer.

Mais toutes les heures du jour, toutes les saisons, dans ce pays magnifique, procuraient des jouissances plus sérieuses et plus sublimes. Il suffisait de se livrer à la sensation du moment, pour goûter, à côté de la bien-aimée ou dans son voisinage, la clarté du ciel pur, l’éclat de la terre féconde, ces tièdes soirées, ces douces nuits. Durant des mois entiers, nous eûmes des matinées pures, éthérées, ravissantes, où le ciel se montrait dans toute sa magnificence, après avoir abreuvé la terre d’une abondante rosée. Et pour que ce spectacle ne devînt pas trop uniforme, des nuages s’amoncelaient souvent sur les montagnes lointaines, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Ils restaient des jours, des semaines, sans troubler le ciel pur, et même les orages passagers rafraîchissaient la campagne, embellissaient la verdure, qui, tout humide encore, brillait de nouveau aux rayons du soleil. Le double arc-en-ciel, les bordures bicolores d’un ruban céleste, d’un gris sombre, presque noir, étaient plus magnifiques, plus colorés, mais aussi plus fugitifs que je ne les ai observés nulle part. Dans ces circonstances, se réveilla à l’improviste ma verve poétique, depuis longtemps endormie. Je composai pour Frédérique bien des chansons sur des airs connus ; elles auraient formé un joli petit volume : il n’en est veste qu’un petit nombre. On les reconnaîtra aisément parmi les autres.

Comme j’étais souvent rappelé à la ville par mes singulières