Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/425

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Il y a peu de biographies qui puissent présenter un progrès pur, paisible, continuel, de l’individu. Notre vie est, comme l’univers dans lequel nous sommes renfermés, un incompréhensible mélange de liberté et de nécessité. Notre vouloir est un pronostic de ce que nous ferons dans toutes les circonstances ; mais ces circonstances nous saisissent d’une manière qui leur est propre. Le quoi est en nous, le comment dépend rarement de nous, nous ne devons pas demander le pourquoi, et c’est à cause de cela qu’on nous renvoie justement à quia. J’avais aimé la langue française dès mon enfance ; j’avais appris à la connaître dans une vie plus animée, et, par elle, une vie plus animée m’était apparue ; elle m’était devenue familière sans grammaire et sans leçons, par la conversation et par la pratique, comme une seconde langue maternelle. Après cela, j’avais désiré m’en rendre l’usage plus facile, et j’avais préféré Strasbourg à d’autres universités pour mon second séjour scolaire. Mais je devais, par malheur, y éprouver le contraire de ce que j’avais espéré, et être détourné de cette langue et de ces mœurs plutôt qu’attiré vers elles.

Les Français, qui, en général, se piquent de bonnes manières, sont indulgents pour les étrangers qui commencent à parler leur langue ; ils ne raillent personne pour une faute, ou ne l’en reprennent pas tout crûment. Cependant, comme ils ne souffrent guère qu’on pèche contre leur idiome, ils ont l’habitude de répéter, avec un autre tour, la même chose qu’on a dite, comme pour la confirmer poliment, mais de se servir pour cela du mot propre, qu’on aurait dû employer, et de signaler de la sorte le bon usage aux personnes intelligentes et attentives. Quelque utile et profitable que cela puisse être, si l’on est résigné à se donner pour un écolier, on se sent toujours un peu humilié, et comme, après tout, on parle aussi pour la chose, on se trouve souvent par trop interrompu et même détourné, et, d’impatience, on laisse tomber la conversation. Cela m’arrivait plus qu’à d’autres, parce que je croyais toujours dire quelque chose d’intéressant, et que je voulais en échange entendre aussi quelque chose de marquant, et ne pas être ramené uniquement à l’expression ; or, j’y étais fort exposé, parce que mon français était beaucoup plus bigarré que