Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/478

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paysages solitaires leur caractère tranquille. À ce sujet, il montrait des eaux-fortes de Gessner, et il encourageait les amateurs à les choisir pour modèles. Il prenait peu ou point d’intérêt à toute cette chevalerie et à ces mascarades, vivait pour lui et pour ses pensées. On le disait passionnément épris de la femme d’un ami. On ne les voyait jamais ensemble. En somme, on avait peu de chose à dire de lui, sinon qu’il s’occupait de la littérature anglaise. Son père étant riche, il n’avait pas besoin de s’appliquer péniblement aux affaires ni de solliciter vivement un emploi.

Ces gravures de Gessner augmentèrent notre goût pour les objets champêtres, et un petit poème que nous lûmes dans notre cercle intime, avec le plus vif plaisir, ne nous permit plus de considérer autre chose. Le Deserted village de Goldsmith devait nous charmer tous, au degré de culture et avec les sentiments qu’on nous connaît. On y trouvait retracé, non pas comme vivant et agissant, mais comme passé et disparu, tout ce qu’on voyait si volontiers de ses yeux, ce qu’on aimait, qu’on estimait, qu’on recherchait avec passion dans la réalité, pour y prendre part avec la joie de la jeunesse : les jours de fête à la campagne, les consécrations d’églises et les foires, la grave assemblée des vieillards sous le tilleul du village, bientôt remplacée par la danse des jeunes gens, à laquelle même les élégants prenaient part. Que ces plaisirs paraissaient convenables, modérés par un honnête pasteur de campagne, qui savait d’abord aplanir et régler ce qui pouvait dépasser les bornes ou donner lieu à des noises et des querelles ! Là encore, nous retrouvions notre vénérable vicaire de Wakefield dans sa société bien connue, mais non plus agissant et vivant. C’était comme une ombre évoquée par les doux gémissements du poète élégiaque. La seule idée de ce tableau est des plus heureuses, une fois qu’on a résolu de ressusciter, avec une gracieuse tristesse, un passé innocent. Et comme cette œuvre sentimentale du poète anglais est à tous égards heureusement accomplie ! Je partageais l’enthousiasme de Gotter pour ce délicieux poëme. Nous entreprîmes tous deux de le traduire. Son travail vaut mieux que le mien, parce que je m’étais efforcé trop scrupuleusement d’imiter dans notre langue la délicate énergie de l’original, et, par là, j’avais