Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fidèlement reproduit quelques passages, mais non pas l’ensemble.

Or, si le bonheur suprême réside dans la mélancolie, et si la vraie mélancolie ne doit avoir pour objet que l’inaccessible, tout concourait pour faire du jeune homme que nous suivons ici dans ses égarements le plus heureux des mortels. Son amour pour une femme promise et fiancée, ses efforts pour donner et approprier à notre littérature des chefs-d’œuvre étrangers, son application à peindre la nature, non-seulement avec le langage, mais aussi avec le burin et le pinceau, et cela sans véritable technique : chacune de ces choses eût été suffisante pour gonfler le cœur et serrer la poitrine ; mais, pour arracher à cette situation celui qui éprouvait de si douces souffrances, pour lui préparer de nouvelles relations, et, par là, de nouvelles inquiétudes, voici ce qui arriva. A Giessen se trouvait Hœpfner, professeur de droit. Merck et Schlosser reconnaissaient en lui un jurisconsulte habile, un penseur, un homme de mérite, et ils l’honoraient infiniment. Il y avait longtemps que je désirais faire sa connaissance, et, ces deux amis ayant résolu de lui faire une visite pour conférer sur des sujets littéraires, nous convînmes qu’à cette occasion je me rendrais aussi à Giessen. Mais, comme il arrive dans l’intempérance des époques de joie et de paix, nous avions de la peine à faire quelque chose tout uniment, et, en véritables enfants, nous tachions de faire jaillir même du nécessaire quelque plaisanterie. Il fut donc convenu que je me présenterais comme un inconnu, sous une forme étrangère, et que je satisferais encore une fois mon goût de paraître sous un déguisement. Par une belle matinée, avant le lever du soleil, je partis de Wetzlar et remontai l’agréable vallée en côtoyant la Lahn. Ces promenades faisaient aussi mon bonheur. J’inventais, j’enchaînais, je travaillais à fond, et, dans la solitude, livré à moi-même, j’étais joyeux et content ; je réduisais à sa valeur ce que le monde, contradicteur éternel, m’avait mal à propos et confusément imposé. Arrivé au terme de mon voyage, je cherchai la demeure de Hœpfner, et je frappai à la porte de son cabinet. Quand il m’eut crié : « Entrez ! » je me présentai modestement, comme un étudiant qui retournait de l’université dans la maison paternelle, et qui