Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/520

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vant lui assez de travaux commencés, il aurait eu même de quoi s’occuper plusieurs années, s’il avait pu s’y attacher avec son zèle accoutumé ; mais, du sein de la retraite, de l’ombre et de l’obscurité, qui seules peuvent faire éclore les productions pures, il fut entraîné dans le fracas du grand jour, où l’on se perd dans les autres, où l’on est égaré par la sympathie comme par la froideur, par la louange comme par le blâme, parce que les contacts extérieurs ne correspondent jamais au degré de notre culture intérieure, et que, par conséquent, ne pouvant nous seconder, ils doivent nécessairement nous nuire.

Mais ce qui me détourna, plus que toutes les distractions du jour, de composer et d’achever des œuvres importantes, ce fut le plaisir que nous trouvions dans notre cercle à dramatiser tous les événements journaliers un peu marquants. Ce que signifiait proprement ce terme technique (car il avait ce caractère dans notre productive société), il faut l’expliquer ici. Animés par notre commerce d’esprit, dans ces joyeuses réunions, nous avions coutume de morceler en de petites compositions improvisées tout ce que nous avions recueilli pour en faire des compositions plus étendues. Un simple incident, un mot d’une heureuse naïveté, une sottise, un malentendu, un paradoxe, une remarque spirituelle, des singularités ou des habitudes individuelles, une mine significative et tout ce qui peut se rencontrer dans une vie dissipée et bruyante, était représenté sous la forme du dialogue, du catéchisme, d’une action animée, d’un drame, en prose quelquefois, en vers plus souvent.

Ces exercices, poursuivis avec une verve originale, fortifièrent cette façon de penser véritablement poétique. Sans s’inquiéter de ce qu’étaient en eux-mêmes, et dans tous leur » rapports, les objets, les événements, les personnes, on cherchait à les saisir clairement et à les peindre vivement. Tout jugement, favorable ou défavorable, devait se mouvoir en formes vivantes sous les yeux du spectateur. On pourrait nommer ces productions des épigrammes vivantes, qui, sans tranchant et sans pointes, étaient abondamment pourvues de traits frappants et décisifs. La Fête de la foire est une de ces épigrammes, ou plutôt elle en est un recueil. Parmi tous les masques qui y figurent, il y a des membres réels de notre société, ou du moins des personnes liées