Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/539

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la jeunesse, c’est que les hommes vieillissent et que les femmes changent. La société devint de jour en jour plus nombreuse. On dansait énormément, et, comme on se touchait d’assez près dans les deux grandes maisons de bains, après qu’on eut fait bonne et particulière connaissance, on se livra à mille badinages. Un jour, je me déguisai en pasteur de campagne ; un ami, homme de renom, était sa femme ; nous accablâmes la belle société de notre excessive politesse, et cela mit chacun de bonne humeur. Les sérénades le soir, et à minuit les aubades, ne manquaient pas. La jeunesse ne dormait guère.

En contraste avec ces dissipations, je passais une partie de la nuit avec Basedow. Il ne se couchait jamais et dictait sans cesse. Quelquefois il se jetait sur le lit et sommeillait, tandis que son Tiron, la plume à la main, restait assis tranquillement, prêt à continuer d’écrire, aussitôt que le maître, à demi réveillé, redonnait un libre cours à ses pensées. Tout cela se passait dans une chambre étroitement fermée, remplie de la fumée de son tabac et de son amadou. Chaque fois que je laissais passer une danse, je montais vite chez Basedow, qui était prêt aussitôt à parler et à disputer sur toute question, et si, au bout de quelques moments, je retournais à la danse, je n’avais pas fermé la porte qu’il reprenait le fil de son traité, et dictait aussi tranquillement que s’il n’eût pas été interrompu.

Nous fîmes ensuite plusieurs courses dans le voisinage ; nous visitâmes les châteaux, surtout ceux de quelques nobles dames, qui étaient beaucoup mieux disposées que les hommes à accueillir l’esprit et la spiritualité. À Nassau, nous trouvâmes nombreuse société chez Mme de Stein, dame du plus haut mérite et universellement respectée. Mme de La Roche était là aussi. Il ne manquait pas de jeunes demoiselles et d’enfants. Lavater se vit exposé à plusieurs pièges physiognomoniques, qui consistaient principalement à ce qu’on voulait lui faire prendre des accidents de conformation pour des formes originelles ; mais il était assez clairvoyant pour ne pas se laisser tromper. Comme toujours, je dus m’expliquer sur la réalité des Souffrances de Werther, sur la demeure de Charlotte, et je me dérobai assez cavalièrement à ces exigences. En revanche, je rassemblai autour de moi les enfants, pour leur faire des contes bien