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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/555

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qui me séparait de la doctrine morave me parut évident. Il fallut donc m’éloigner de cette société, et, comme on ne pouvait m’ôter mon attachement pour l’Écriture sainte, non plus que pour le fondateur de la religion et ses premiers disciples, je me formai un christianisme pour mon usage particulier, et je cherchai à le fonder et à le construire par une sérieuse étude de l’histoire, et par l’observation attentive de ceux qui avaient penché vers mon sentiment.

Mais, comme tout ce que je recevais en moi avec amour prenait aussitôt une forme poétique, je conçus l’idée singulière de traiter d’une manière épique l’histoire du juif errant, gravée de bonne heure dans mon esprit par les livres populaires. Je voulais, en suivant ce fil conducteur, exposer, selon l’occurrence, les points saillants de l’histoire ecclésiastique et religieuse. Voici comment j’avais conçu la fable et quelle idée j’y rattachais. Il se trouvait à Jérusalem un cordonnier que la légende nomme Ahasvérus. Mon cordonnier de Dresde m’en avait fourni les traits principaux. Je lui avais libéralement dispensé l’esprit et la bonne humeur de Hans Sachs, son confrère, et je l’avais ennobli en faisant de lui un ami de Jésus. Et comme, de sa boutique ouverte, il aimait à s’entretenir avec les passants, les agaçait, et, ainsi que Socrate, attaquait chacun à sa manière, les voisins et le peuple s’arrêtaient volontiers auprès de lui ; les pharisiens et les saducéens le fréquentaient, et le Sauveur, accompagné de ses disciples, voulait bien lui-même s’arrêter quelquefois devant sa boutique. Le cordonnier, dont toutes les pensées étaient tournées vers le monde, prit cependant pour Nôtre-Seigneur un attachement, qui se manifestait surtout en ce qu’il voulait amener à sa façon de voir et d’agir l’homme auguste dont il ne comprenait pas la pensée. Il pressait donc vivement Jésus de renoncer à la contemplation, de ne pas errer dans le pays avec ces oisifs, de ne pas détourner le peuple du travail pour l’attirer à lui dans le désert : un peuple rassemblé était toujours un peuple agité, et il n’en résulterait rien de bon.

De son côté, le Seigneur cherchait à l’instruire par des figures de ses vues et de ses desseins sublimes, mais ces leçons ne profitaient pas sur cet homme grossier. Aussi, Jésus étant devenu un personnage toujours plus important et même un personnage