Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/556

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public, le bienveillant artisan se prononça avec une vivacité, une véhémence, toujours plus grande ; il représenta qu’il s’en suivrait nécessairement des troubles et des séditions, et que Jésus lui-même serait contraint de se déclarer chef de parti, ce qui ne pouvait toutefois être son intention. La chose ayant eu les suites que nous savons, Jésus-Christ est arrêté et condamné, et l’exaltation d’Ahasvérus augmente encore, quand Judas, qui, en apparence, a trahi le Seigneur, entre désespéré dans la boutique, et raconte en gémissant sa malheureuse tentative. Il était, ainsi que les plus sages adhérents, fermement persuadé que Jésus se proclamerait roi et chef du peuple, et lui, il avait voulu pousser, par contrainte, à l’action le maître, jusque-là irrésolu et inébranlable, et, par ce motif, il avait excité les prêtres à des violences qu’ils n’avaient pas non plus osé se permettre jusqu’alors. Les disciples, de leur côté, n’étaient pas non plus restés désarmés, et vraisemblablement tout aurait bien fini, si le maître ne se fût livré lui-même et ne les eût pas laissés dans la plus triste position. Ahasvérus, que ces discours n’avaient nullement disposé à la douceur, envenime encore la douleur du pauvre ex-apôtre, à qui il ne reste plus qu’à s’aller pendre bien vite.

Et lorsque Jésus est conduit au supplice par-devant la boutique du cordonnier, on voit se passer la scène connue : le patient succombe sous le fardeau de la croix, et l’on force Simon de Cyrène de la porter. Ahasvérus sort de sa boutique, à la façon de ces gens d’une raison austère, qui, à la vue d’une personne malheureuse par sa faute, ne ressentent aucune pitié, et même, poussés par une justice intempestive, aggravent le mal par des reproches ; il sort et répète tous ses anciens avertissements ; il les transforme en accusations violentes, que semble autoriser son amitié pour le patient. Jésus ne répond rien, mais, à ce moment, la tendre Véronique couvre d’un linge la figure du Sauveur, et, comme elle l’ôte et qu’elle le tient en l’air, Ahasvérus y voit la face du Seigneur ; mais ce n’est point celle de Jésus souffrant devant lui, c’est celle d’un glorifié, qui rayonne de la vie céleste. Ébloui par cette apparition, Ahasvérus détourne les yeux, et il entend ces mots : « Tu seras errant sur la terre, jusqu’à ce que tu me revoies dans cette