Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/591

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légère pression, à travers la cornée insensible ; le patient voyait aussitôt les objets, et n’avait qu’à prendre patience, les yeux bandés, jusqu’à ce que le traitement achevé lui permît de se servir à son gré et à son aise du précieux organe. Bien des pauvres, à qui Joung avait procuré ce bonheur, avaient invoqué sur lui la bénédiction de Dieu et la récompense que cet homme riche devait maintenant lui payer.

Joung avouait que, cette fois, l’opération n’avait pas été aussi facile et aussi heureuse ; le cristallin n’avait pas sauté dehors ; il avait dû l’extraire, et même, parce qu’il était adhérent, le détacher. Cela n’avail pu s’accomplir sans quelque violence. Maintenant il se faisait des reproches d’avoir aussi opéré l’autre œil. Mais on avait résolu de faire les deux opérations en même temps ; on n’avait pas songé à un pareil accident, et quand il se fut présenté, on ne s’était pas remis et déterminé sur-le-champ. Bref, le second cristallin n’était pas venu de lui-même ; il avait fallu le détacher aussi, et l’extraire avec effort. Combien un homme si bon, si bien intentionné et si pieux doit souffrir dans une situation pareille, c’est ce qu’on ne peut ni développer ni décrire. Quelques réflexions générales sur un pareil caractère sont peut-être ici à leur place.

Travailler à sa culture morale est ce que l’homme peut entreprendre de plus simple et de plus faisable ; il y est porté par une impulsion naturelle ; il y est conduit et même contraint dans la vie civile par le bon sens et l’amour. Stilling vivait dans un sentiment de sympathie morale et religieuse ; il ne pouvait exister sans se communiquer et sans éprouver à son tour la bienveillance ; il demandait une affection mutuelle ; où l’on ne le connaissait pas, il était silencieux ; où l’on ne l’aimait pas, le connaissant, il était triste : c’est pourquoi il ne se trouvait jamais mieux qu’avec les personnes bien intentionnées, qui, dans une sphère bornée et tranquille, sont occupées paisiblement à se perfectionner.

Ces personnes sauront se défaire de la vanité, renoncer à la poursuite de l’honneur mondain, se former un langage réservé, observer une conduite égale et bienveillante avec leurs amis et leurs voisins. Ici se trouve souvent, à la base, une forme de l’intelligence difficile à définir, modifiée par l’individualité :