Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/600

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les études que lui imposait son état : aussi s’est-il fait connaître honorablement par la suite dans le domaine de la théologie. Il faut se le représenter dans notre cercle comme une personne indispensable, ayant l’intelligence et la riposte.

Le clavecin de Lili enchaînait complètement à notre compagnie le bon André ; comme professeur, comme maître et comme exécutant, il y avait peu d’heures du jour et de la nuit où il ne prît une part active à la vie de famille, aux plaisirs de chaque jour. Il avait mis en musique la Lénore de Burger, alors dans sa première nouveauté, et que l’Allemagne avait reçue avec enthousiasme ; il la répétait souvent et volontiers. Moi, qui récitais beaucoup de vers et d’une manière animée, j’étais toujours prêt à la déclamer. On ne s’ennuyait pas encore en ce temps-là d’entendre redire la même chose. Si la société avait le choix de dire lequel de nous deux elle voulait entendre, elle décidait souvent en ma faveur. Mais tout cela ne servait qu’à permettre aux amants d’être plus longtemps ensemble. Ils ne pouvaient finir, et, tantôt l’un tantôt l’autre, ils savaient aisément entretenir par leurs cajoleries le bon Jean-André dans un mouvement continuel, pour prolonger, à force de répétitions, sa musique jusqu’après minuit. Par là, les deux amants s’assuraient la précieuse et indispensable douceur d’être ensemble. On sortait de la maison de bon matin, et l’on se trouvait en plein air, mais non proprement à la campagne. De remarquables bâtiments, qui, dans ce temps-là, auraient fait honneur à une ville, des jardins dessinés en parterres, avec des platesbandes de fleurs et d’autres décorations, une libre vue sur la rivière jusqu’à l’autre bord, souvent, de très-bonne heure, une active navigation de radeaux, de coches et de barques agiles, un monde vivant, qui doucement glissait sur l’eau, étaient en harmonie avec des sentiments affectueux et tendres. La rivière elle-même, avec son doux mouvement, son cours solitaire et ses roseaux murmurants, était faite pour récréer, et ne manquait pas d’exercer sur les arrivants un charme puissant et doux. Un ciel serein, dans la plus belle saison de l’année, étendait sa voûte sur tout ce paysage. Quel plaisir une société intime n’avait-elle pas à su retrouver, le matin, entourée de scènes pareilles !