Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/612

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avantageux. Un esprit alerte trouve partout à se placer ; les aptitudes, les talents éveillent la confiance ; chacun se dit qu’il s’agit seulement de prendre une autre direction. La jeunesse empressée rencontre la faveur ; on suppose le génie capable de tout, parce qu’il est capable d’une certaine chose.

Le domaine de l’esprit et de la littérature en Allemagne pouvait alors être considéré comme une terre nouvellement défrichée. Il se trouvait parmi les gens d’affaires des hommes habiles qui désiraient de laborieux colons et de bons économes pour le terrain à mettre en culture. La loge des francs-maçons, considérée et bien établie, dont je connaissais les principaux membres par mes relations avec Lili, me préparait doucement des rapports plus intimes ; mais, par un sentiment d’indépendance, qui plus tard me parut une folie, j’évitai toute liaison plus étroite, ne voyant pas que ces hommes, quoique réunis dans une plus haute pensée, auraient pu me seconder dans mes desseins, si voisins des leurs.

Je reviens à mon sujet. Dans les villes telles que Francfort, il y a des fonctions collectives, des résidences, des agences, qui, avec de l’activité, peuvent s’étendre sans limites. Il s’en offrait aussi à moi, qui paraissaient, au premier coup d’œil, non moins honorables que lucratives. On présuma que je pouvais les remplir, et les choses auraient marché, au moyen de la triade bureaucratique dont j’ai fait la peinture. On se dissimule ce qui est douteux ; on se communique ce qui est favorable ; on surmonte toutes les hésitations par une ardente activité ; ainsi se mêle dans la situation quelque chose de faux, sans que la passion en soit diminuée.


En temps de paix, il n’y a guère pour la foule de lecture plus agréable que les feuilles publiques, qui nous informent promptement des événements les plus nouveaux. Le bourgeois heureux et tranquille exerce là-dessus innocemment l’esprit de parti, que, dans notre sphère bornée, nous ne pouvons ni ne devons dépouiller. Tout homme de loisir se crée alors, comme dans une gageure, un intérêt arbitraire, un gain ou une perte chimérique, et prend, comme au théâtre, un intérêt très-vif, quoique imaginaire, au bonheur et au malheur d’autrui. Cet intérêt paraît souvent arbitraire, cependant il repose sur une base morale. Car, tantôt nous donnons une approbation méritée à des desseins louables, tantôt, entraînés par un brillant succès, nous nous tournons vers celui dont nous