Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/66

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autres collatéraux, qui demeuraient à Friedberg et ailleurs, étaient pareillement sans fortune, et autres semblables indices qui ne pouvaient tirer leur force que de la malignité. Je les écoutai plus tranquillement qu’ils ne l’avaient présumé ; car ils levaient déjà le pied pour s’enfuir, si j’avais fait mine de les prendre aux cheveux. Je répondis sans m’émouvoir que cela même pouvait m’être fort égal. La vie était si belle, qu’on pouvait regarder comme tout à fait indifférent de savoir à qui on en était redevable : enfin, c’était de Dieu qu’on la tenait, devant qui nous sommes tous égaux. Ne pouvant donc réussir à me fâcher, ils laissèrent dormir l’affaire pour cette fois ; nous continuâmes à jouer ensemble, ce qui est toujours chez les enfants un infaillible moyen de réconciliation.

Cependant ces malicieuses paroles m’avaient inoculé une sorte de maladie morale, qui se développa dans le silence. Je ne trouvais point déplaisant d’être le petit-fils de quelque grand seigneur, quand même ce n’aurait pas été de la manière la plus légitime. Ma subtilité poursuivit cette voie ; mon imagination était éveillée et ma pénétration avait de quoi s’exercer. Je commençai par examiner les allégations de ces petits garçons, et j’y trouvai, j’imaginai de nouveaux traits de vraisemblance. J’avais peu entendu parler de mon grand-père ; seulement son portrait avait figuré avec celui de ma grand’mère dans un salon de la vieille maison ; depuis la construction de la maison neuve, les deux peintures étaient serrées dans une chambre haute. Ma grand’mère devait avoir été une très-belle femme et du même âge que son mari. Je me souvenais aussi d’avoir vu dans sa chambre le portrait en miniature d’un beau monsieur en uniforme, portant des ordres et une étoile. Après la mort de mon aïeule le portrait avait disparu, avec d’autres petits meubles, pendant la bâtisse, qui avait tout bouleversé. J’arrangeais cela, comme bien d’autres choses, dans ma tête enfantine, et j’exerçais de bonne heure ce talent poétique moderne, qui, par l’enchaînement romanesque des situations marquantes de la vie humaine, sait intéresser toute la société polie.

Mais comme je ne pouvais confier le cas à personne, ou que je me hasardais seulement à faire des questions éloignées, je ne manquai pas de déployer une activité secrète, pour décou-