taient la colère, étaient repoussées par la force, ou bien elles éveillaient en moi d’étranges réflexions, qui ne pouvaient rester sans conséquences. Entre autres avantages, les malveillants m’enviaient le plaisir que je trouvais dans les relations que procurait à notre famille la charge de mon aïeul. En effet, comme il était le premier entre ses égaux, cela n’avait pas non plus sur ses enfants une médiocre influence. Et comme, un jour, après l’audience des musiciens, je me montrais un peu fier d’avoir vu mon grand-père au milieu du conseil des échevins, un degré plus haut que les autres, trônant en quelque sorte sous l’image de l’empereur, un de ces petits garçons dit avec moquerie que je devrais bien, comme le paon regarde ses pieds, regarder aussi mon grand-père paternel, qui avait été aubergiste à Weidenhof, et qui n’avait prétendu ni aux trônes ni aux couronnes. Je répliquai que je n’en éprouvais aucune confusion ; que la gloire et l’orgueil de notre ville natale était justement que tous les bourgeois devaient se croire égaux entre eux, et que chacun à sa manière pouvait trouver honneur et profit dans son industrie. Je n’avais qu’un regret, c’était que le bonhomme fût mort depuis longtemps ; j’avais souvent désiré de le connaître personnellement ; j’avais souvent contemplé son image, et même visité sa sépulture, et du moins, en lisant l’épitaphe gravée sur sa tombe modeste, j’avais joui de son existence passée, à laquelle j’étais redevable de la mienne. Un autre malveillant, le plus malicieux de tous, prit à part le premier, et lui chuchota quelque chose à l’oreille, et cependant ils continuaient à me regarder d’un air moqueur. Ma bile commençait à s’échauffer et je les invitai à parler tout haut. « Voici l’affaire, dit le premier : puisque tu veux le savoir, mon camarade assure que tu pourrais tourner et chercher longtemps avant de trouver ton grand-père. »
Je les pressai avec plus de vivacité, avec menace même, de s’expliquer plus clairement. Là-dessus, ils rapportèrent une fable qu’ils avaient attrapée de la bouche de leurs parents. Mon père était le fils d’un grand seigneur, et ce bon bourgeois s’était prêté complaisamment à jouer le rôle de père. Ils eurent l’impudence d’alléguer toutes sortes de raisons ; que, par exemple, notre bien provenait uniquement de ma grand’mère ; que les