Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/70

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semble, d’autant que, dans cet isolement, la singularité des caractères se développe toujours d’une façon plus tranchée. Dans ses voyages et dans le libre monde qu’il avait vu, mon père pouvait s’être fait l’idée d’une vie plus élégante et plus libérale qu’elle n’était peut-être ordinaire parmi ses concitoyens. Mais il avait eu en cela des devanciers, et il avait des pareils.

On connaît la famille d’Uffenbach. Un échevin d’Uffenbach vivait alors très-considéré. Il avait visité l’Italie et cultivait surtout la musique. Il était lui-même un ténor agréable. Il avait rapporté une belle collection d’œuvres de divers compositeurs, et l’on exécutait chez lui de la musique profane et des oratorio. Mais, comme il y chantait lui-même, et qu’il était affable avec les musiciens, on trouva la chose au-dessous de sa dignité, et les invités, aussi bien que les autres bourgeois, se permettaient là-dessus quelques plaisanteries.

Je me souviens aussi du baron de Hækel, gentilhomme riche, marié, mais sans enfants, qui habitait dans l’Antoniusgasse (rue d’Antoine) une belle maison, pourvue de tout ce qui constitue une vie élégante. Il possédait aussi de bons tableaux, des gravures, des antiques et beaucoup de ces choses qui affluent chez les amateurs et les faiseurs de collections. De temps en temps il invitait à dîner les notables de la ville. Il exerçait la bienfaisance avec une attention singulière, habillant les pauvres dans sa maison, mais retenant leurs vieux habits, et leur distribuant une aumône chaque semaine, sous condition qu’ils se présenteraient chaque fois proprement et soigneusement vêtus des habits qu’il avait donnés. Je ne me souviens de lui que vaguement, comme d’un homme gracieux et de bonne mine, mais je me rappelle très-distinctement la vente de son mobilier, à laquelle j’assistai du commencement à la fin, et où j’achetai, soit sur l’ordre de mon père, soit de mon propre mouvement, bien des choses qui se trouvent encore dans mes collections.

Un homme que j’ai à peine vu de mes yeux, Jean-Michel de Loen, faisait dès lors quelque sensation dans le monde littéraire comme à Francfort. Il n’y était pas né, mais il s’y établit, et il épousa la sœur de ma grand’mère Textor, née Lindheimer.