Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/80

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naît des personnes arrêtées ; que tous les officiers et les adjudants avaient leurs entrées, qu’en outre, le comte tenait chaque jour table ouverte : dans une maison de grandeur médiocre, disposée pour une seule famille, avec un seul escalier, qui parcourait librement tous les étages, cela produisait le mouvement et le bourdonnement d’une ruche d’abeilles, quoique tout se passât avec beaucoup de mesure, de gravité et de sévérité.

Heureusement, entre un propriétaire chagrin, que son hypocondrie tourmentait chaque jour davantage, et un hôte militaire, bienveillant, mais fort exact et sérieux, il se trouva un commode interprète ; c’était un bel homme, bien nourri, de joyeuse humeur, bourgeois de Francfort et parlant bien le français, qui savait s’accommodera tout, et pour qui les petits désagréments de tout genre n’étaient qu’un sujet de rire. Ma mère l’avait chargé de représenter au comte la situation où elle se trouvait à cause de l’humeur de son mari : il avait exposé si habilement la chose, la maison neuve et qui n’était pas même entièrement terminée, le goût naturel du propriétaire pour la retraite, l’occupation que lui donnait l’éducation de sa famille, et tout ce qu’on pouvait dire encore : que le comte, qui, dans l’exercice de sa charge, mettait son plus grand orgueil à se montrer parfaitement juste, incorruptible et d’une conduite honorable, résolut de se comporter aussi d’une manière exemplaire comme soldat logé, et en effet il y persista inviolablement au milieu de circonstances diverses, pendant plusieurs années que dura son séjour.

Ma mère savait un peu l’italien, qui n’était d’ailleurs étranger à aucune personne de la famille : elle résolut d’apprendre sans retard le français. A cet effet, l’interprète, qui l’avait eue pour marraine d’un de ses enfants dans ces temps orageux, et qui se sentait dès lors, comme compère, une nouvelle inclination pour notre famille, donnait à sa commère tous ses moments de loisir (il demeurait vis-à-vis de chez nous), et lui apprenait avant tout les phrases dont elle avait besoin pour s’adresser au comte. Cela réussit au mieux. Le comte se trouva flatté de la peine que se donnait à son âge la dame de la maison, et, comme il avait naturellement quelque chose de gai et de spirituel, qu’il se plaisait à montrer une certaine galanterie un peu sèche, il