Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/90

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ment satisfait ; il m’embrassa d’un air tout aussi théâtral, et nous courûmes au café le plus voisin, pour calmer notre émotion avec un verre de lait d’amandes, et resserrer les nœuds de notre ancienne amitié.

Je vais rapporter ici une autre aventure, qui m’est aussi arrivée au théâtre, mais plus tard. J’étais assis tranquillement au parterre avec un de mes camarades, et nous assistions avec plaisir aux exercices de danse exécutés très-habilement par un joli petit garçon, à peu près de notre âge, fils d’un maître de danse français en passage à Francfort. Il portait, à la manière des danseurs, un petit pourpoint serré de soie rouge, qui se terminait en une courte jupe bouffante, semblable aux tabliers des coureurs, et flottait sur ses genoux. Nous avions applaudi, avec tout le public, cet artiste naissant, lorsque je m’avisai, je ne sais comment, de faire une réflexion morale. Je dis à mon camarade : « Comme cet enfant était bien paré, et qu’il avait bonne façon ! Oui sait dans quelles guenilles il dormira ce soir ? » Déjà tout le monde était debout, mais la foule nous empochait d’avancer. Il se trouva qu’une femme, qui avait été assise à côté de moi, et qui me touchait dans ce moment, était la mère de ce jeune artiste. Elle se sentit très-offensée de ma réflexion. Par malheur elle savait assez d’allemand pour m’avoir compris, et parlait notre langue autant qu’il était nécessaire pour dire des injures. Elle m’apostropha violemment. Qui étais-je donc pour avoir droit de suspecter la famille et l’aisance de ce jeune homme ? En tout cas, elle se permettait de croire qu’il me valait bien, et que ses talents le mèneraient à une fortune que je ne pouvais rêver pour moi. Elle me fit cette mercuriale dans la foule, et fixa l’attention des voisins, qui se demandaient avec surprise quelle malhonnêteté je pouvais avoir commise. Comme je ne pouvais ni m’excuser ni m’éloigner d’elle, j’étais réellement embarrassé, et, profitant d’un moment où elle avait fait silence, je dis sans y songer : « Hé ! pourquoi ce tapage ? aujourd’hui doré, demain enterré. » À ces mots, la femme sembla interdite. Elle me regarda fixement, et s’éloigna de moi aussitôt que la chose lui fut possible. Je ne pensais plus à mes paroles ; mais, quelque temps après, elles me revinrent à la mémoire, quand le petit garçon, au lieu de se faire voir en-