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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/103

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aurait pu nous sembler par trop maigre, mais on connaissait la disette générale et l’on se résignait modestement.

Cependant la bonne fortune me réservait un meilleur festin. La nuit était tombée de bonne heure ; chacun s’était couché sur la paille préparée. Je m’étais endormi comme les autres, mais un vif et agréable songe me réveilla. Il me sembla que je flairais, que je savourais des morceaux délicieux. Là-dessus, m’étant réveillé tout à fait, je levai la tê.te : ma tente se trouvait remplie d’une excellente odeur de graisse de porc rôtie et braisée, qui excita fort ma convoitise. Revenus à l’état de nature, nous étions excusables de tenir pour un dieu le gardien des pourceaux et un rôti de porc pour un mets inestimable. Je me levai et j’aperçus à quelque distance un feu qui se trouvait, par un heureux hasard, au-dessus du vent. De là me venaient à flots ces bonnes fumées. Je m’avançai sans balancer vers la clarté, et je trouvai tous nos domestiques occupés autour d’un grand feu, qui allait se réduire en braises, le dos d’un porc déjà presque à point, le reste mis en morceaux, prêt à être empaqueté, et chacun prêtant la main pour faire des saucisses. Je contemplai avec plaisir cette scène d’activité. Ces bonnes gens m’étaient affectionnés ; aussi, quand ils en vinrent à la distribution, me firent-ils accepter un excellent morceau. Le pain ne fit pas défaut, non plus qu’un coup d’eau-de-vie. Le régal fut complet. Et voilà comme la faveur du vent de nuit me valut un bon souper.

2 octobre 1792.

Mais le corps avait-il recouvré quelques forces en prenant un peu de nourriture, et l’âme avait-elle trouvé de l’apaisement dans des consolations morales, elle n’en flottait pas moins entre l’espérance et la crainte, la colère et la honte ; on se réjouissait de vivre encore : on maudissait la vie dans de telles conditions. A deux heures après minuit, nous levâmes le camp, nous longeâmes un bois avec précaution ; nous arrivâmes près de Vaux, à travers l’emplacement du camp que nous avions quitté naguère, et bientôt nous fûmes au bord de l’Aisne. Nous y trouvâmes deux ponts, qu’on y avait jetés, et qui nous mirent sur la rive droite. Nous fîmes halte entre les ponts, et en vue de tous