Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/108

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bouillon chaud fut versé dessus, et l’on nous souhaita un bon appétit. Les jeunes garçons qui dédaignaient mon pain de munition auraient pu m’adresser à ce modèle « de bon pain et de bonne soupe. » Après quoi, on nous servit la viande et les légumes, qui s’étaient trouvés cuits en même temps, et toute personne aurait pu se contenter de cette simple cuisine.

Nous questionnâmes ces gens avec intérêt sur leur situation. Ils avaient déjà beaucoup souffert à notre premier passage, quand nous étions demeurés si longtemps près de Landres ; à peine rétablis, ils craignaient d’être complétement ruinés par le retour de l’armée ennemie. "Nous leur témoignâmes de la sympathie et de l’affection ; nous leur donnâmes l’assurance consolante que cela ne durerait pas longtemps, puisqu’il n’y avait plus après nous que l’arrière-garde ; nous leur adressâmes des conseils et des directions sur la manière dont ils devaient sfi conduire avec les traîneurs. L’orage et la pluie redoublant de violence, nous passâmes la plus grande partie du jour à couvert, au coin du feu, méditant sur le passé, et songeant, non sans inquiétude, à ce qui allait arriver. Depuis Grandpré, je n’avais revu ni ma voiture, ni mes effets, ni mon domestique, et je passais en un moment de l’espérance à la crainte. La nuit était venue, les enfants allaient se coucher ; ils s’approchèrent avec respect du père et de la mère, firent la révérence, leur baisèrent la main et dirent : «Bonsoir, papa ! bonsoir, maman I » avec une grâce charmante. Bientôt après, on vint nous dire que le prince de Brunswick était dangereusement malade dans notre voisinage, et nous allâmes demander de ses nouvelles. On refusa notre visite, et l’on nous assura que le prince était beaucoup mieux, et qu’il se proposait de partir le lendemain matin.

A peine étions-nous revenus au coin du feu, chercher un asile contre l’effroyable pluie, qu’un jeune homme entra, qu’à sa ressemblance frappante avec notre hôte nous prîmes pour son frère, et il se trouva que nous avions bien deviné. Sous le costume des campagnards français, un fort bâton à la main, il entra dans la chambre. C’était un beau jeune homme. Très-sérieux, même chagrin, il prit place avec nous auprès du feu sans mot dire ; mais, à peine se fut-il réchauffé, qu’il se promena de long en large avec son frère, puis ils passèrent dans