Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/110

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cris lamentables. C’était une voix de femme, qui priait et suppliait en bon allemand qu’on ouvrit la porte. Enfin on s’attendrit et on ouvre. Une vieille cantinière s’élance dans la maison, portant sur le bras quelque chose enveloppé dans un linge ; derrière elle, une jeune personne, qui n’était point laide, mais pâle, exténuée, et se soutenant à peine. La vieille expose sa situation en quelques mots energiques, en même temps qu’elle nous montre un enfant, dont cette femme est accouchée dans la fuite. Retardées par cet accident, maltraitées par les paysans, elles étaient enfin arrivées a notre porte. La mère, dont le lait avait tari, n’avait pu donner encore à l’enfant aucune nourriture, et la vieille demandait avec emportement de la farine, du lait, une marmite, enfin du linge pour envelopper l’enfant. Comme elle ne savait pas le français, il nous fallait demander en son nom ; mais son air impérieux, sa vive pantomime, donnaient à nos paroles assez de poids. On ne pouvait apporter assez vite ce qu’elle demandait, et ce qu’on apportait ne lui paraissait jamais assez bon. La rapidité de son action n’était pas moins étonnante. Elle nous eut bientôt écartés du feu, pour établir l’accouchée à la meilleure place, tandis qu’elle se mettait à son aise sur son escabeau, comme si elle eût été seule dans la maison. En un clin d’œil l’enfant fut lavé, enveloppé, la bouillie cuite ; la vieille donna à manger à l’enfant, puis à la mère : elle pensait à peine à elle-même. Ensuite elle demanda des habits pour l’accouchée pendant que les siens séchaient. Nous admirions cette femme. Elle s’entendait en réquisitions ! La pluie avait diminué, nous regagnâmes notre premier logement, et, bientôt après, les hussards amenèrent leur butin. Nous payâmes un prix raisonnable. 11 s’agissait d’immoler la victime, et nous fûmes surpris de trouver nos hôtes disposés à seconder nos hussards, car ils avaient eu sujet de trouver leur conduite violente. Dans la chambre où se fit l’opération, les enfants dormaient dans des lits bien propres. Éveillés par le vacarme, ils regardaient avec une frayeur ingénue de dessous leurs couvertures. Près d’un grand lit à deux places, entouré soigneusement de serge verte, était suspendue la proie, de sorte que les rideaux formaient un fond pittoresque au corps éclairé. C’était un effet de nuit incomparable. Mais les habitants