Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/112

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sous-officier sévère, qui, en menaçant la village tout entier, trouva enfin le mot de l’énigme. Le cheval avait en effet couru à Sivry chez ses anciens maîtres ; la famille avait été, disait-on, au comble de la joie de revoir cet ancien serviteur ; tous les voisins y avaient pris part. On avait monté avec assez d’adresse le cheval dans un grenier, et on l’avait caché derrière du foin. Chacun gardait le secret. Cependant le cheval fut retiré de sa cachette au milieu des plaintes et des gémissements, et tout le village fut dans l’affliction, quand le cavalier se jeta dessus et suivit le brigadier. A’ul ne songeait à ses propres souffrances ni à l’incertitude de la situation générale ; le cheval et son propriétaire, trompé pour la seconde fois, étaient le sujet de ce rassemblement. On eut un moment d’espérance. Le prince royal de Prusse vint à passer, et, comme il voulut demander le sujet de cet attroupement, les bonnes gens le supplièrent de leur faire rendre le cheval. ll n’en avait pas le pouvoir, car les nécessités de la guerre sont plus fortes que les rois. Il laissa ces gens inconsolables en s’éloignant sans rien dire.

Alors nous entretînmes encore une fois nos hôtes sur la tactique qu’ils devaient suivre avec les traineurs, car cette canaille commençait à se montrer. A notre avis, le mari et la femme, avec les servantes et les valets, devaient se tenir à la porte, en arrière du petit vestibule, et donner, hors de la maison, un morceau de pain, un coup de vin, si on le demandait, mais s’opposer résolûment à ce qu’on entrât de force. Ces gens n’attaquent guère une maison ; mais, une fois qu’ils y ont pénétré, on n’est plus maître de les contenir. Ces bonnes gens nous priaient de rester encore, mais nous devions penser à nous-mêmes ; le régiment du duc était en avant et le prince royal était parti : nous ne pouvions plus différer.

Nous reconnûmes combien nous avions agi prudemment, lorsque, ayant rejoint la colonne, nous apprîmes que l’avantgarde des princes français avait été assaillie la veille par les paysans entre les Grandes et les Petites-Armoires, aussitôt qu’elle eut laissé derrière elle le Chêne-Populeux et l’Aisne. Un offlcier avait eu un cheval tué sous lui. Alors je me rappelai que, la nuit dernière, quand le malgracieux beau-frère était entré dans la maison, je n’avais pu me défendre d’un funeste pressentiment.