Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/128

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je mettais le pied hors de la maison, je me trouvais en plein tumulte de guerre et je pouvais parcourir à mon gré le lieu le plus étrange peut-être qui soit sous le ciel.

15 octobre 1792.

Quiconque n’a pas vu Luxembourg ne pourra se faire une idée de toutes ces constructions militaires rangées à la file ou étagées. L’imagination s’égare, quand on veut se rappeler cette diversité étonnante avec laquelle l’œil du promeneur peut à peine se familiariser. Il sera nécessaire d’avoir un plan sous les yeux pour trouver un peu intelligible ce que je vais dire.

Un ruisseau, le Pétrus, d’abord seul, puis réuni avec l’Alzette, promène ses méandres entre des rochers, les sépare, les entoure, en suivant tantôt sa course naturelle, tantôt celle que l’art lui a donnée. Sur la rive gauche s’étale et s’élève la vieille ville ; avec ses ouvrages du côté de la campagne ouverte, elle ressemble aux autres villes fortes. Mais,.quand on songea à sa sûreté du côté de l’ouest, on vit bien qu’il fallait se proléger aussi en face de la profondeur où coule* la rivière ; l’art de la guerre ayant fait des progrès, cela même ne fut pas suffisant : on dut pousser de nouveaux bastions sur la rive droite, vers le sud, l’est et le nord, sur les enfoncements et les saillies des parties irrégulières du rocher. Il en résulta une chaîne infinie de bastions, de redoutes, de demi-lunes, de tenaillons, tels que le génie militaire en pouvait produire dans les cas les plus rares. Aussi rien de plus singulier que l’aspect de l’étroite vallée qui s’abaisse vers la rivière à travers tous ces ouvrages, avec ses rares esplanades, ses pentes douces ou abruptes, disposées en jardins, coupées en terrasses et animées par des maisons de plaisance. Ce tableau unit tant de grandeur et de grâce, tant de sévérité et d’agrément, qu’il serait à désirer que le Poussin eût exercé dans ces lieux son magnifique talent.

Les parents de notre joyeux guide possédaient dans le Pfaffenthal (vallée des prêtres) un joli jardin en pente, dont ils me permirent volontiers la jouissance. Des églises et des couvents peu éloignés justifiaient le nom de cet Elysée, et semblaient assurer aussi, dans ce voisinage clérical, repos et tranquillité aux