Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/130

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me mettais à crayonner de mémoire ces objets, tels qu’ils s’étaient peu à peu gravés dans mon imagination ; esquisse imparfaite sans doute, mais suffisante pour flxer jusqu’à un certain point le souvenir d’une situation extraordinaire.

20 octobre 1192.

J’avais gagné du temps pour réfléchir aux derniers événements ; mais, à mesure que je les considérais, tout me paraissait plus confus et plus incertain. Je voyais que le plus nécessaire était peut-être de se préparer aux événements immédiats. Il me fallait franchir les quelques milles qui me séparaient de Trêves ; et pourtant qu’allais-je y trouver, puisque les chefs eux-mêmes précipitaient leur retraite avec les fugitifs ? Mais ce qui était le plus douloureux, ce qui jeta même les plus résignés dans une sorte de fureur, ce fut la nouvelle, qui ne pouvait plus se taire, que nos généraux augustes avaient dû traiter avec ces chefs maudits, voués à la mort par le manifeste, représentés comme abominables pour les plus horribles actions ; ils avaient dû leur abandonner les places fortes, sans autre avantage que de s’assurer une retraita à eux et à leurs troupes. J’en ai vu des nôtres qui faillirent en perdre la raison.

22 octobre 1792.

Sur le chemin de Trêves ne se trouvait plus à Grevenmachern la brillante barricade de voitures ; les champs étaient déserts, défoncés, ravagés ; on voyait au long et au large les traces de notre présence fugitive. Je passai cette fois tranquillement devant la poste avec des chevaux de réquisition ; la boîte aux lettres était toujours à sa place, mais point de presse alentour. On ne pouvait se défendre des plus étranges pensées.

Cependant un magnifique rayon de soleil éclaira le paysage, quand le monument d’igel brilla devant moi comme un phare aux yeux du navigateur nocturne. La puissance de l’antiquité ne fut peut-être jamais sentie comme dans ce contraste : c’était aussi, il est vrai, un monument de temps de guerre, mais de jours heureux, victorieux, et d’un bien-être durable d’hommes