Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/144

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mon attente. Il me laissa partir comme il m’avait reçu, sans me donner le moindre encouragement, et l’on voudra bien croire que j’y étais préparé.

En voyant faire avec empressement les préparatifs nécessaires pour descendre par eau les malades et les cavaliers fatigués, l’idée me vint que ce serait pour moi le meilleur parti de prendre la même voie. Je laissai à regret ma chaise en arrière,, mais on promit de me l’envoyer à Coblenz, et je louai un bateau mené par un seul homme, où tous mes effets, comptés, je puis dire, devant moi, à l’embarquement, me firent une impression très-agréable, parce que plus d’une fois je les avais crus perdus ou j’avais craint de les perdre. J’acceptai pour compagnon de voyage, comme ancienne connaissance, un officier prussien, que je me rappelais fort bien d’avoir vu page, et qui conservait un vif souvenir de sa vie à. la cour, où il prétendait m’avoir souvent présenté le café.

Le temps était passable, la navigation paisible, et l’on sentait d’aulant plus le charme de cette situation, qu’on voyait les colonnes s’avancer péniblement, avec des haltes fréquentes, sur la grand’route, qui s’approchait ça et là de la rivière. A Trêves, on s’était déjà plaint que, dans une retraite si précipitée, la plus grande difficulté était de trouver des cantonnements : car très-souvent les localités assignées à un régiment se trouvaient déjà occupées, et il en résultait beaucoup de confusion et de souffrances.

Les rives de la Moselle présentent des aspects très-variés. L’eau dirige, il est vrai, obstinément sa course principale du sud-ouest au nord-est ; mais, comme elle traverse un pays rebelle et montueux, elle est refoulée tantôt à droite tantôt à gauche par des angles saillants, en sorte qu’elle ne peut cheminer qu’en faisant de longues sinuosités. C’est pourquoi un vigoureux batelier est bien nécessaire. Le nôtre faisait preuve de force et d’habileté, car il savait tour à tour éviter une roche proéminente, et mettre à profit hardiment, pour avancer plus vite, le courant, qui se pressait le long des rochers escarpés. Les nombreux villages bâtis sur les deux rives offraient le plus riant coup d’œil ; les vignes, partout soigneusement cultivées, aimonr dent un peuple joyeux, qui .n’épargne aucune peine