Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/148

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cruelles souffrances de corps et d’Ame semblaient donner quelque droit de se plaindre : on se représentera aisément que tout ne finit pas en silence, et, quelque soin qu’on prît de s’observer, de l’abondance du cœur la bouche parlait quelquefois. C’est aussi ce qui m’arriva. Assis à une table nombreuse, à côté d’un vieux et habile général, je ne m’abstins pas entièrement de par 1er du passé, sur quoi il me répondit d’un ton amical, mais avec une certaine décision : « Faites-moi l’honneur de venir me voir demain malin, et nous parlerons de ces choses cordialement et franchement. » J’eus l’air d’accepter, mais je n’y ailai pas, et je fis en moi-même le vœu de ne plus rompre de sitôt mon silence accoutumé.

Pendant notre navigation, tout comme à Coblenz, j’avais fait quelques observations intéressantes pour mes études sur les couleurs ; il m’était venu particulièrement de nouvelles lumières sur les couleurs époptiques, et j’espérais de plus en plus parvenir à enchaîner entre eux les phénomènes physiques et à les séparer d’autres phénomènes, avec lesquels ils semblaient avoir une affinité éloignée. Le journal du fidèle camérier Wagner me fut très-utile pour compléter le mien, que j’avais complétement négligé dans les derniers jours.

Le régiment du duc était arrivé ; on l’avait cantonné dans les villages vis-à-vis de Neuwied. Là le prince montra les soins les plus paternels pour ses subordonnés ; chacun put faire connaître ses souffrances et fut soulagé et secouru autant que la chose était possible. Le lieutenant de Flotow, qui commandait un détachement dans la ville, et qui élait le plus près du bienfaiteur, se montra secourable et plein d’activité. On manquait surtout de chaussures : on y pourvut en achetant du cuir, qu’on fit travailler, sous la direction des maîtres de la ville, par les cordonniers qui se trouvaient dans le régiment. On veilla aussi à la propreté et à la bonne façon : on se procura de la craie jaune ; les collets furent nettoyés et passés en couleur, et nos cavaliers .recommencèrent à trotter en belle tenue.

Cependant mes études, comme aussi mes joyeux entretiens avec les officiers de la chancellerie et de la maison, furent trèsanimés par le vin d’honneur que le conseil de la ville offrit au prince. C’était des meilleurs crus de la Moselle. Notre prince