Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/147

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forteresse d’Ehrenbreitstein dans la vapeur bleue ; à droite, la ville, s’appuyant au pont, formait un beau premier plan. Ce tableau nous procura une vive jouissance, mais ce ne fut qu’un moment, car nous abordâmes. Nous eûmes soin d’envoyer aussitôt les matelas, bien ménagés, chez un marchand que nous avaient indiqué nos amis de Trarbach.

On avait assigné au duc de Weimar un beau logement, où je trouvai aussi un bon refuge. L’armée avançait peu à peu ; les domestiques du prince général arrivèrent et ne pouvaient assez dire quelles souffrances ils avaient endurées. Le prince luimême était arrivé. Autour du Roi se rassemblèrent beaucoup de généraux. Pour moi, dans mes promenade^ solitaires le long du Rhin, je repassais dans ma mémoire les étranges événements des dernières semaines.

Un général français, la Fayette, chef d’un grand parti et naguère l’idole de la nation, jouissant de toute la confiance des soldats, s’élève contre l’autorité qui, après l’emprisonnement du Roi, représente seule le pays. Il prend la fuite ; son armée, qui ne compte pas plus de vingt-trois mille hommes, reste désorganisée, consternée, sans général et sans officiers supérieurs. Dans le même temps, un puissant roi envahit la France à la tête d’une armée coalisée, forte de quatre-vingt mille hommes ; deux places se rendent après une faible résistance. Alors paraît un général peu connu, Dumouriez, qui n’ajamais commandé en chef ; il sait prendre une excellente position : elle est forcée ; il réussit à en prendre une seconde : il y est encore enfermé, et de telle sorte que l’ennemi se place entre lui et Paris. Mais des pluies continuelles amènent une situation extraordinairement compliquée ; la redoutable armée des alliés, à six lieues de Châlons, à dix lieues de Reims, se voit empêchée d’occuper ces deux villes, se résout à la retraite, évacue les deux places conquises, perd plus du tiers de son effectif, et, dans le nombre, deux mille hommes tout au plus par les armes, et se voit de nouveau sur le Rhin. Tous ces événements, qui touchent au prodige, se passent en moins de six semaines, et la France est délivrée du plus grand péril dont ses annales aient jamais parlé.

Qu’on se figure maintenant tous les milliers d’hommes qui avaient pris part à cette désastreuse expédition, auxquels de