Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/153

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avec les amis que j’allais voir ; ils étaient demeurés fidèles à leur façon de vivre, et moi, au contraire, une bizarre destinée m’avait fait passer par divers degrés d’épreuves, d’activité et de souffrance, tellement que, resté toujours la même personne, j’étais devenu un tout autre homme, et que je parus presque méconnaissable à mes anciens amis.

Il serait difficile, même dans l’âge avancé, où l’on est arrivé à jeter sur la vie un plus libre regard, de se rendre un compte exact de ces transitions, qui paraissent tantôt comme un progrès, tantôt comme un recul, et qui doivent toutefois profiter à l’homme que Dieu mène. Malgré ces difficultés, je veux, en faveur de mes amis, essayer quelques indications.

L’homme moral n’éveille l’affection et l’amour qu’aulant qu’on observe chez lui une ardeur secrète. Cette ardeur manifeste à la fois la possession et le désir : la possession d’un cœur tendre et le désir d’en trouver un pareil ; par la tendresse, nous attirons à nous ; par le désir, on se donne soi-même. L’ardeur secrète qui était en moi, et que j’ai trop nourrie peut-être dans mes jeunes années ; qu’en avançant dans la vie, j’ai fortement combattue, ne pouvait plus convenir à l’homme fait, ne pouvait plus lui suffire, et il chercha la satisfaction pleine et définitive. Le but de mon ardeur la plus intime, qui me tourmentait jusqu’au fond de l’âme, c’était l’Italie, dont l’image avait inutilement plané devant moi durant beaucoup d’années, jusqu’à ce qu’enfin, par une résolution hardie, j’osai me mettre en possession de la réalité. Mes amis me suivirent aussi volontiers par la pensée dans ce pays magnifique ; ils m’accompagnèrent à l’aller et au retour : puissent-ils s’associer encore par le cœur à un plus long séjour que j’y ferai bientôt, et m’accompagner derechel au retour, car alors bien des problèmes se trouveront plus clairement résolus !

En Italie, je me sentis peu à peu détaché des petites idées, délivré des faux désirs, et l’ardeur qui m’avait poussé vers le pays des arts fit place à l’ardeur pour les arts eux-mêmes : je les avais connus et je désirai de les pénétrer.

L’étude de l’art, comme celle des anciens écrivains, nous donne une certaine solidité et le contentement de nous-mêmes ; en remplissant notre âme de grands objets et de grands senti-