Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/171

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une grande chambre du rez-de-chaussée, comme on en trouve dans les presbytères. Je vis encore assez distinctement le jeune homme dans le crépuscule, et je m’aperçus que les parents avaient quitté la chambre pour faire place au visiteur inattendu.

On apporta la lumière, et je pus reconnaître alors que le personnage ressemblait parfaitement à sa lettre. Comme elle, il éveillait l’intérêt, sans attirer à lui. Afin d’engager la conversation, je me donnai pour un peintre de Gotha, que des affaires de famille appelaient, dans cette mauvaise saison, chez sa sœur et son beau-frère dans le Brunswick. Il me laissa à peine le temps d’achever et s’écria : « Puisque vous demeurez si près de Weimar, vous aurez sans doute visité souvent cette ville, qui devient si célèbre ?» Je répondis affirmativement du ton le plus simple, et je commençai à parler du conseiller Kraus, de l’école de dessin, de Bertouch, le conseiller de légation, et de son activité infatigable ; je n’oubliai ni Musaeus, ni Jagemann, ni Wolf, le maître de chapelle ; je nommai quelques dames, et je fis le tableau de la société que formaient ces personnes de mérite, et dans laquelle les étrangers étaient reçus avec bienveillance.

Enfin il me dit avec quelque impatience : « Pourquoi ne parlez-vous pas de Goethe ? » Je répondis que je l’avais vu aussi très-bien accueilli dans ce cercle, et qu’en ma qualité d’artiste étranger, j’avais moi-même reçu de lui un bon accueil et des encouragements. Tout ce que je pouvais ajouter, c’est qu’il vivait soit dans la retraite, soit avec d’autres amis. Le jeune homme, qui m’avait écouté avec une attention inquiète, me demanda alors avec quelque impatience de lui peindre ce singulier personnage, qui faisait tant parler de lui. Je lui fis très-ingénument une peinture qui ne me coûtait guère, puisque le singulier personnage était là présent dans une position fort singulière, et, si la nature eût donné à mon interlocuteur un peu plus de pénétration, il n’aurait pu méconnaître que son hôte se décrivait lui-même.

Il avait fait quelques tours de chambre, tandis qu’une servante apportait une bouteille de vin et un souper froid proprement servi. 11 remplit nos verres, et, après avoir trinqué, il vida le sien lestement. A peine avais-je achevé le mien à traits