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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/197

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grand veneur d’un électeur de Mayence. Je dînai au quartier général ; la retraite de Champagne défraya la conversation. Le comte de Kalkreuth donna libre cours à sa bonne humeur contre les théoriciens. Le soir, quelques officiers du régiment se trouvèrent chez le cantinier, où l’on était un peu plus en train que l’année précédente dans la Champagne ; nous bûmes cette fois son vin mousseux en lieu sec et par le plus beau temps. On rappela ma prédiction, on répéta mes propres paroles : « De ce lieu et de ce jour date une nouvelle époque pour l’histoire du monde et vous pourrez dire : J’y étais. » On s’étonnait de voir cette prédiction accomplie non-seulement dans son sens général, mais encore à la lettre, les Français ayant pris ces jours-là pour point de départ de leur calendrier.

Mais, l’homme sachant en général, et surtout en guerre, se plier à l’inévitable, et cherchant à remplir avec le plaisir et la gaieté les intervalles du danger, de la souffrance et du chagrin, les hautbois d’un régiment se mirent à jouer le Ça ira et la Marseillaise, tandis qu’on vidait les bouteilles de Champagne.

Le lendemain, jeudi 29 mai, canonnade générale de réjouissance, en l’honneur de la victoire des Autrichiens à Famars. Cela me servit à reconnaître la position des batteries et des troupes. J’accompagnai le duc à l’aile gauche, et je rendis mes devoirs au landgrave de Darmstadt, dont le camp était orné avec goût de branches de pin ; la tente du landgrave surpassait d’ailleurs lout ce que j’avais jamais vu, pour l’heureux arrangement, l’excellence du travail, le confort et la magnificence.

Vers le soir nous eûmes un spectacle charmant : les princesses de Mecklenbourg avaient dîné chez Sa Majesté, à son quartier général de Bodenheim, et, en sortant de table, elles étaient venues visiter le camp. Je m’enfermai dans ma tente et je pus observer à loisir Leurs Altesses, qui se promenaient devant sans aucune gène. Et véritablement ces deux jeunes dames pouvaient sembler au milieu du tumulte de la guerre une apparition céleste.

Dans la nuit du 30 au 3l, je dormais tranquillement dans ma tente, tout habillé, comme à l’ordinaire, quand je fus éveillé par le bruit de la fusillade, qui ne paraissait pas fort éloignée. Je fus bientôt sur pied et hors de la tente. Je trouvai déjà tout en mou-