Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/198

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vement. Marienborn était manifestement surpris. Bientôt les canons de notre batterie devant la maison sur la chaussée tonnèrent à leur tour. L’ennemi avançait donc. Le régiment du duc, dont un escadron était posté derrière la maison de la chaussée, marcha en avant. La situation était à peine explicable. La fusillade dans Marienborn, sur les derrières de nos batteries, durait toujours, et nos batteries continuaient leur feu. Je montai à cheval et me portai en avant, et, comme j’avais déjà reconnu les lieux, je pus, malgré la nuit, juger la situation. Je m’attendais à chaque instant à voir Marienborn en flammes, et je retournai à nos tentes, où je trouvai les gens du duc qui pliaient bagage à tout événement. Je leur recommandai ma malle et mon portefeuille, et je me concertai avec eux pour la retraite. Ils voulaient gagner Oppenheim. Je pouvais les y joindre aisément, parce que je connaissais le sentier à travers champs. Toutefois je voulus attendre l’événement et ne pas m’éloigner avant d’avoir vu le village en flammes et le combat s’étendre derrière.

Dans cette incertitude, je restais en observation, mais bientôt la fusillade cessa, les canons se turent ; le jour commençait à poindre, et je vis devant moi le village tranquille. Je m’avançai sur le champ de bataille ; le soleil se leva, répandant une triste lumière, et l’on vit les victimes de la nuit couchées pêle-mêle. Nos cuirassiers gigantesques, bien vêtus, faisaient un étrange contraste avec les sans-culottes petits, chélifs, déguenillés. La mort les avaient moissonnés sans distinction. Notre excellent capitaine la Vière était tombé des premiers. Le capitaine de Vos, adjudant du comte Kalkreuth, avait un coup de feu à la poitrine : on attendait sa mort. J’écrivis une courte relation de ce singulier et regrettable incident.

On se disposait enfin à commencer le siége, toujours annoncé, et dont on faisait mystère aux ennemis. Le 16 juin, on se dit à l’oreille que la tranchée serait ouverte cette nuit. L’obscurité était profonde ; nous nous dirigeâmes par le chemin connu vers la redoute de Weissenau. On ne voyait, on n’entendait rien. Tout à coup nos chevaux s’étonnèrenl, et nous aperçûmes devant nous une troupe qu’on distinguait à peine. Des soldats autrichiens, habillés de gris, portant sur le dos des fascines grises, passaient en silence ; à peine le cliquetis des pelles et des pioches,