Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/206

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passionnés s’écrièrent qu’il fallait leur donner la chasse ; d’autres se contentèrent d’exhaler leur dépit ; d’autres enfin s’étonnèrent de ne voir sur toute la route aucune trace de gardes ni de surveillants : preuve évidente, disaient-ils, que l’autorité supérieure voulait fermer les yeux, et abandonner aux chances du hasard tout ce qui pouvait arriver.

La véritable sortie des troupes interrompit ces réflexions et changea le cours des idées. Les fenêtres de la maison sur la chaussée, que nous occupions alors, nous furent très-commodes dans ce moment à mes amis et à moi. Nous vîmes le défilé venir à nous dans toute sa solennité. Des cavaliers prussiens ouvraient la marche ; la garnison française suivait. Rien de plus singulier que la manière dont cette marche s’annonçait : une colonne de Marseillais, petits, noirs, bariolés, déguenillés, s’avançait à petits pas ; on eût dit que le roi Edwin avait ouvert sa montagne, et lâché sa joyeuse armée de nains. Ensuite venaient des troupes plus régulières, sérieuses et mécontentes, mais non abattues ni humiliées. Cependant l’apparition la plus remarquable, et qui frappa tout le monde, fut celle des chasseurs à cheval. Ils s’étaient avancés jusqu’à nous dans un complet silence : tout à coup leur musique (it entendre la Marseillaise. Ce Te Deum révolutionnaire a quelque chose de triste et de menaçant, même lorsqu’il est vivement exécuté ; mais, cette fois, les musiciens le jouaient très-lentement, réglant la mesure sur leur marche traînante. L’effet fut saisissant et terrible, et le coup d’œil imposant, quand ces cavaliers, qui étaient tous de grande taille, maigres et d’un certain âge, et dont la mine s’accordait avec ces accents, passèrent devant nous. Isolément, ils tenaient du Don Quichotte ; en masse, ils paraissaient trèsrespectables.

Une troupe particulière, qui attirait vivement l’attention, fut celle des commissaires. Merlin de Thionville, en habit de hussard, remarquable par sa barbe et son regard sauvage, avait auprès de lui un autre personnage habillé comme lui. Le peuple vociféra avec fureur le nom d’un clubiste, et s’ébranlait pour se jeter sur lui. Merlin s’arrêta, fit valoir sa dignité de représentant du peuple français, la vengeance qui suivrait toute insulte ; il conseillait la modération ; « Car, ajouta-t-il, ce n’est pas