Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/207

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la dernière fois que vous me voyez ici. » La foule resta interdite ; pas un ne branla. Merlin avait apostrophé quelques-uns de nos officiers qui se trouvaient là, et invoqué la parole du Roi : personne ne bougea, ni pour l’attaque ni pour la défense. La troupe passa sans être inquiétée.

Le lendemain, je remarquai avec regret qu’on n’avait pris aucune précaution ni sur la chaussée ni dans le voisinage pour prévenir les désordres. Ces mesures semblaient d’autant plus nécessaires ce jour-là que les pauvres émigrés mayençais, au comble de l’infortune, étaient arrivés d’endroits plus éloignés, efassiégeaient par troupes la chaussée, soulageant par des cris de malédiction et de vengeance leurs cœurs ulcérés. Aussi la ruse de guerre employée la veille par les fugitifs ne réussit-elle plus. Quelques voitures de voyage furent lancées au grand trot ; mais les bourgeois de Mayence s’étaient postés partout dans les fossés de la chaussée, et, si les fugilifs échappaient à une embuscade, ils tombaient dans une autre. On arrêtait la voiture : si l’on y trouvait des Français ou des Françaises, on les laissait courir ; si c’étaient des clubistes bien connus, on ne les lâchait pas.

Une très-belle voiture à trois chevaux vint à passer. Une jeune et gracieuse dame ne cessait de se montrer à la portière, saluant à droite et à gauche. Mais on saisit les brides dans les mains du postillon ; on ouvre la portière, on reconnaît aussitôt à côté de la dame un chef de club. On ne pouvait le méconnaître. Il était de taille courte et ramassée, un large visage, gravé de petite vérole. On le tire dehors par les, pieds, on ferme la portière et l’on souhaite bon voyage à la belle ; mais lui, on le traîne dans le champ voisin, on le foule aux pieds, on le roue de coups ; tous ses membres sont meurtris, son visage méconnaissable. Enfin un garde le prend sous sa protection ; on le porte dans une maison de paysan ; on le couche sur la paille, à l’abri des voies de fait, mais non des injures, des moqueries et des outrages. Les insultes allèrent même si loin, que l’officier ne laissa plus entrer personne, et moi-même, à qui il n’aurait pas opposé de refus, parce qu’il me connaissait, il me pria instamment de renoncer à cet affreux spectacle.

Le 25, dans notre maison de la chaussée, nous fumes encore