Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/303

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sirer de pénétrer les nôtres. Elle ne s’en tenait pas là : elle voulait aussi agir sur les sens, sur le sentiment, sur l’esprit : elle voulait éveiller en nous une certaine activité, dont elle nous reprochait le défaut. Comme elle n’avait aucune idée de ce qu’on appelle devoir et de la situation tranquille et recueillie à laquelle doit se résoudre celui qui s’impose un devoir, elle voulait une action continue, des effets soudains, comme, en société, une conversation, une discussion, non interrompues.

Les Weimariens sont capables d’enthousiasme, peut-être même, dans l’occasion, d’un enthousiasme faux ; cependant il ne fallait pas attendre d’eux l’effervescence française, surtout à une époque où la prépondérance de cette nation menaçait toute l’Europe, et où les hommes prudents prévoyaient le mal inévitable qui devait, l’année suivante, nous conduire au bord de l’abîme.

Mme de Staël aspirait aussi aux couronnes de la lecture et de la déclamation. Une lecture de Phèdre, à laquelle je ne pus assister, eut le résultat qu’on devait prévoir. Il fut évident unefois de plus que les Allemands avaient pour jamais renoncé à cette forme restreinte, à ce pathos mesuré et boursouflé. Ils aiment mieux renoncer au beau fruit naturel qui est caché dessous, que de l’obtenir en épluchant toutes les enveloppes qui le défigurent.

Philosopher en société, c’est discourir vivement sur des problèmes insolubles. C’était le plaisir et la passion de Mme de Staël. Naturellement, de réponse en réplique, elle arrivait d’ordinaire jusqu’aux choses de l’esprit, du sentiment, qui ne doivent proprement se passer qu’entre Dieu et l’homme. Avec cela elle avait, comme femme et comme Française, l’habitude de persister sur les points principaux et de ne pas écouter exactement ce que disait l’interlocuteur. Par là elle éveilla en moi la malicieuse fantaisie de contredire, de disputer sur tout, de réduire tout en problème, et de la mettre souvent au désespoir par une opposition obstinée. C’est alors qu’elle était tout à fait aimable, et qu’elle faisait paraître avec le plus d’éclat la prestesse de son esprit et de ses répliques.

J’eus aussi avec elle en tête-à-tête plusieurs conversations suivies, où elle se montrait aussi fatigante à sa manière, parce qu’elle ne souffrait pas sur les événements les plus graves un