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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/304

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moment de réflexion tranquille: il fallait,.pour les affaires, pour les objets les plus importants, être aussitôt prêt que s’il s’était agi de recevoir un volant. Un soir, avant l’heure de réception de la cour, elle entre chez moi, et, pour toute salutation, elle me dit vivement : « Je vous annonce une importante nouvelle. Moreau est arrêté avec quelques autres et accusé de trahison envers le tyran. » Cet homme éminent m’avait inspiré depuis longtemps, comme à tout le monde, un vif intérêt ; j’avais suivi ses actes et sa conduite ; je me rappelais en silence le passé pour juger le présent à ma manière et en tirer des conclusions ou du moins des conjectures pour l’avenir. Mme de Staël changea Ja conversation, en la portant suivant sa coutume sur diverses choses indifférentes, et, comme je rêvais toujours et ne sus pas aussitôt trouver beaucoup de paroles pour la réplique, elle renouvela le reproche qu’elle m’avait déjà fait souvent, que j’étais encore maussade suivant ma coutume, et qu’on ne pouvait causer agréablement avec moi. Je fus décidément fâché, et lui soutins qu’elle était incapable d’un sérieux intérêt. Elle tombait chez moi comme une bombe, elle m’étourdissait d’un coup violent, et voulait qu’aussitôt on sifflit sa petite chanson, et qu’on sautât d’un sujet à un autre. Ce langage était fait pour lui plaire : elle voulait exciter une passion, n’importe laquelle. Pour m’apaiser, elle exposa à fond les circonstances de ce grave incident, et fit preuve d’une grande intelligence de la situation et des caractères.

Une autre anecdote fera voir combien son commerce était facile et gai, quand on entrait dans sa manière. Dans un nombreux souper, chez la duchesse Amélie, j’étais placé loin de Mme de Staël, et, cette fois encore, je demeurais silencieux et rêveur. Mes voisins me le reprochèrent, et cela causa un petit mouvement, dont le sujet finit par être connu des hauts personnages. Mme de Staël entendit qu’on me reprochait mon silence ; elle s’exprima là-dessus comme à l’ordinaire et ajouta : «Pour moi, je n’aime Goethe que lorsqu’il a bu une bouteille de Champagne. » Sur quoi je dis à demi-voix, de manière à n’être entendu que de mes plus proches voisins : « Il faut donc que nous ayons fait quelquefois ribote ensemble. » Un rire modéré suivit ces paroles. Elle voulut en savoir la cause. Personne ne