Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/319

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et, aussitôt après, un pain assez naturellement rendu, sur la table des disciples à Emmaus, et qui avait excité les aboiements d’un dogue anglais ; puis une image sainte merveilleusement sauvée du feu, etc., etc.’

Mon compagnon fut bientôt las de ces bizarreries, et, véritablement, Beireis voulait en faire trop accroire à ses hôtes. Parmi ses tableaux supposés de maîtres célèbres, il se trouvait bien quelques originaux, mais fortement restaurés. Je distinguai pourtant, comme inestimable, un portrait d’Albert Durer peint par lui-même, avec le millésime de 1493, et par conséquent à l’âge de vingt-deux ans. Un véritable amateur l’aurait entouré d’un cadre d’or, l’aurait enfermé dans la plus belle armoire ; mais lui, il laissait sans cadre et sans protection cette œuvre peinte sur une planche mince ; il la maniait sans précaution, au risque de la voir brisée au premier moment. Je remarquai aussi un Rubens, d’une touche libre et spirituelle, représentant une vendeuse de légumes, et divers tableaux dont Beireis avait fait l’acquisition au moment où l’on avait supprimé les couvents. J’aurais pu donner sur quelques-uns des indications précises, mais Beireis me déroutait sans cesse, car, pour ses tableaux comme pour sa personne, il voulait être unique.

Ces visites et ces revues étaient fort agréablement interrompues par de joyeux banquets, où l’homme singulier continuait sans gêne son rôle de jeune homme à marier. On souffrait toutes ses folies, et il était facile de voir que sa maison, ses collections, ses objets de prix, ses capitaux, sa richesse, peut-être exagérée, donnaient dans la vue à beaucoup de gens, et lui, de son côté, il savait à merveille allécher les quêteurs d’héritage ; on eût dit que sa maxime était de se faire ainsi comme une famille artificielle. Dans sa chambre à coucher était le portrait d’un jeune homme comme on en voit mille, qui n’avait rien de distingué, rien d’attrayant ni de repoussant. Il le faisait voir d’ordinaire à ses hôtes, et puis il racontait en gémissant comme quoi ce jeune homme, pour lequel il avait fait de grands sacrifices, auquel il voulait laisser tout son bien, s’était montré envers lui infidèle et ingrat ; qu’il avait dû l’éloigner, et qu’il en cherchait inutilement un second, avec lequel il pût former