Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/328

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même chez les hommes cultivés, et qui, en dépit de toute culture, fait reparaître, au milieu de la société la plus décente, la grossièreté native des sauvages amis des caricatures.

Je ne dirai qu’un mot en passant du reste de notre voyage. Nous visitâmes le Bodethal et le Hamner, que je connaissais depuis longtemps. De là je remontai, pour la troisième fois de ma vie, la source bruyante, emprisonnée dans les rochers de granit, et je fus de nouveau frappé de la pensée que rien ne nous engage à réfléchir sur nous-mêmes comme de revoir après un long intervalle des objets très-remarquables, particulièrement de grandes scènes de la nature, et de comparer l’impression qu’ils nous avaient laissée avec l’impression présente. Alors nous remarquerons en somme que l’objet ressort toujours davantage ; que si, auparavant, nous nous sentions neus-mêmes dans l’objet, si nous reportions en lui joie et souffrance, trouble et sérénité, maintenant, noire personnalité étant domptée, nous rendons à l’objet ce qui lui appartient, nous reconnaissons ses propriétés et ses qualités, en tant que nous les pénétrons, et que nous savons les estimer à un plus haut degré. La première sorte de contemplation est celle de l’artiste, la seconde celle du naturaliste. Ce ne fut pas d’abord sans douleur, mais ce fut enfin avec joie, que, cette première sensation m’échappant peu à peu, je sentis la seconde se développer avec d’autant plus de force dans mon œil et dans mon esprit.

1806.

Les espérances intérimaires qui nous avaient amusés durant plusieurs années, nous entretinrent encore pendant celle-ci : le monde était enfeudetoules parts, l’Europe avait changé de face, on ne parlait que de villes en ruine, de flottes en débris ; mais l’Allemagne du centre et du nord jouissait encore d’une sorte de paix fiévreuse, dans laquelle nous nous abandonnions à une sérénité trompeuse. Le grand Empire d’Occident était fondé ; il poussait de tous côtés des racines et des branches : cependant on semblait accorder à la Prusse le privilége de se fortifier dans le nord. Elle avait récemment occupé Erfourt, position très-importante, et, dans cette idée, nous consentîmes, dès le commence-