Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/339

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sonne très-cultivée, fille de Reimarus de Hambourg, avait écrit une excellente relation, qui donnait une idée exacte et intéressante de leur situation pénible et difficile.

Le moment où s’offrit à moi ce digne compatriote de Schiller et de Cuvier était par lui-même assez intéressant pour établir d’abord entre nous une étroite liaison. Les deux époux, pleins de franchise, Allemands de cœur, très-instruits ; le Ois et la fille, aimables et charmants, m’attirèrent bientôt dans leur intimité ; l’excellent Reinhard s’attacha d’autant plus à moi, qu’en sa qualité de représentant d’une nation qui faisait alors du mal à tant de monde, il ne pouvait être vu avec bienveillance par le reste de la société. En homme pratique, accoutumé à prêter l’oreille aux affaires les plus étrangères, il écouta avec une attention soutenue l’exposé de ma doctrine des couleurs, et, à son tour, il me fit l’histoire sommaire de sa vie. Ces confidences mutuelles resserrèrent notre liaison.

La princesse de Solms, née de Mecklenbourg, ne doit pas être passée sous silence. Elle m’avait toujours témoigné une gracieuse bienveillance. Elle me demandait souvent de lui faire quelque lecture, et je choisissais toujours ce qui avait coulé le plus récemment de mon cœur et de ma plume, et, par là, comme expression d’un sentiment vrai, la poésie avait aussi de la vérité ; émanée du cœur, elle allait au cœur. Une dame d’honneur, gracieuse et sensée, Mme de Lestocq, assistait as’ec un bon esprit à ces lectures familières.

Le nom de Reinhard devait m’être cher à double titre. Le prédicateur de la cour de Saxe était venu essayer de rétablir aux eaux de Carlsbad sa santé déjà très-ébranlée. Quelque douloureux qu’il fût de voir cet homme excellent dans un état si fâcheux, on trouvait pourtant sa conversation pleine de charme. Sa belle nature morale, son esprit cultivé, sa volonté loyale, comme aussi son intelligence pratique de ce qu’on doit désirer et poursuivre, paraissaient en toutes choses. Quoiqu’il ne pût se faire entièrement à ma manière de m’exprimer sur ce qui se présentait, j’eus pourtant la joie de me trouver parfaitement d’accord avec lui, sur quelques points principaux, contre l’opinion dominante : d’où il put voir que mon indifférence apparente, mon libéralisme, s’accordant au fond avec lui dans la