Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/351

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crainte et le souci. Le départ de nos chasseurs pour le Tyrol (14 mars) fut triste et alarmant. Aussitôt après vinrent les cantonnements. Le prince de Ponte-Corvo, comme chef du corps d’armée saxon, se porta vers les frontières de la Bohême, et parlil le 25 de "Weimar pour Kranichfeld. Accoutumé depuis longtemps, et surtout depuis les dernières années, à m’isoler complétement du monde extérieur, à m’oecuper de mes affaires, à poursuivre mes travaux intellectuels, je me rendis à léna dès le 29 avril. J’y travaillai à l’histoire de la doctrine des couleurs ; j’arrivai au quinzième et au seizième siècle, et j’écrivis l’histoire de ma propre conversion « chromatique. » Puis je poussai l’histoire de la doctrine dts couleurs jusqu’à la fin du dix-huitième siècle. Dans tous ces travaux, le docteur Seebeck me montra sa sympathie et son obligeance.

Pour dire quelques mots de mes travaux poétiques, depuis la (in de mai je n’avais pas perdu de vue les Affinités électives, dont la première conception m’occupait depuis longtemps. Nul ne peut méconnaître dans ce roman une profonde blessure qui craint de se cicatriser, un cœur qui a peur de guérir. J’avais conçu l’idée première depuis quelques années ; mais, dans l’exécution, l’ouvrage s’étendait, se diversifiait toujours plus, et menaçait de franchir les limites de l’art. Après tant de travaux préliminaires, on résolut sérieusement de commencer l’impression, de couper court aux hésitations et de donner à l’œuvre une forme déterminée.

Cependant je fus troublé tout à coup dans ce travail, car nous avions à peine appris, avec anxiété, l’irruption des Français en Autriche, que le roi de Westphalie entreprit une expédition en Bohême, qui m’obligea de revenir le 13 juin à Weimar. Les nouvelles de cette singulière expédition étaient très-incertaines, quand deux diplomates de mes amis, qui suivaient le quartier genéral, MM. de Reinhard et Wangenheim, vinrent me voir à l’improviste, et m’annoncèrent en termes énigmatiques une retraite inexplicable. Dès le 15 juillet, le roi arrive à Weimar ; la retraite semble devenir une fuite, et, dès le 20, les courses du corps d’armée d’Oels nous inquiètent ainsi que le voisinage. Cependant cet orage s’éloigne à son tour ; il passe au nordouest, et, le 23 juillet, je n’hésite pas de retourner à Iéna.