Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/400

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pensée, parce que des littérateurs cultivés déclaraient euxmêmes impossible le succès d’une pareille entreprise. Wieland traduisit librement, saisit le sens de son auteur, laissa de côté ce qui lui paraissait intraduisible, et il donna ainsi aux Allemands une idée générale des plus admirables ouvrages d’une autre nation ; il donna à son époque une idée de la haute culture de siècles écoulés.

Cette traduction, qui produisit un si grand effet en Allemagne, paraît avoir eu peu d’influence sur Wieland lui-même. Il était trop en lutte avec son auteur, comme on le reconnaît bien aux endroits qu’il a laissés de côté, et plus encore aux notes qu’il a ajoutées, et dans lesquelles ressortent les idées françaises.

Mais, d’un autre côté, les Grecs, avec leur mesure et leur pureté, sont pour lui des modèles infiniment précieux. Il se sent uni avec eux par le goût : religion, mœurs, constitutions, tout lui donne lieu d’exercer sa diversité, et comme ni les dieux, ni les philosophes, ni les citoyens, ni les peuples ne s’accordent entre eux, non plus que les hommes d’État et les guerriers, il trouve partout l’occasion la plus désirable, en paraissant douter et badiner, d’inculquer toujours sa philosophie douce, humaine, tolérante. Il se plaît en même temps à tracer des caractères problématiques, et, par exemple, il trouve du plaisir à faire briller, sans considérer la chasteté féminine, les grâces aimables d’une Musarion, d’une Laïs, d’une Phryné, et à mettre leur sagesse mondaine au-dessus de la sagesse pédantesque des philosophes.

Cependant il trouve dans le nombre de ceux-ci un homme qu’il peut peindre et produire comme le représentant de ses sentiments, c’est Aristippe. Chez lui, la philosophie et les plaisirs du monde sont si heureusement unis par une sage modération, qu’on voudrait avoir vécu dans un pays si beau, dans une si bonne société. On est heureux d’entrer en relation avec ces hommes instruits, bien pensants, cultivés, joyeux, et aussi longtemps qu’on est avec eux par la pensée, on croit même sentir et penser comme eux.

Notre ami se maintint dans ces régions par de sérieux exercices, qui sont encore plus nécessaires au traducteur qu’au