Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/45

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tendais pas à trouver là. Elle ne paraissait point aussi agitée, aussi impatiente que le reste de la société, qui vivait dans l’espérance, le souci et l’angoisse. Les alliés venaient d’envahir la France. Longwy se rendrait-il d’abord ou opposerait-il de la résistance, les troupes républicaines se joindraient-elles aux alliés, et, comme on nous l’avait promis, chacun se déclareraitil pour la bonne cause, et rendrait-il nos progrès plus faciles ? Tout cela tenait alors les esprits en suspens. On attendait des courriers. Les derniers n’avaient annoncé autre chose que la lenteur de la marche des alliés et les obstacles que présentaient les routes défoncées. Ces personnes n’en étaient que plus inquiètes et plus impatientes, ne pouvant dissimuler qu’elles devaient désirer de rentrer au plus tôt dans leur patrie, afin de profiter des assignats, invention de leurs ennemis, et de vivre à meilleur marché et plus commodément.

Je passai ensuite deux joyeuses soirées avec Sœmmering, Huber, Forster et d’autres amis. Je me retrouvais dans l’air de la patrie. La plupart étaient d’anciennes connaissances, d’anciens condisciples, qui se sentaient comme chez eux dans le voisinage de Francfort. La femme de Sœmmering était de cette ville. Tous connaissaient particulièrement ma mère ; ils appréciaient ses originalités, répétaient plusieurs de ses mots heureux, ne se lassaient pas d’attester la grande ressemblance que j’avais avec elle par mon humeur gaie et ma parole vive. Tout cela provoquait, sollicitait ma confiance naturelle, accoutumée. La liberté d’un bienveillant badinage dans le domaine de la science nous mit de la plus joyeuse humeur. De politique, il n’en fut pas question : on sentait qu’on se devait des ménagements mutuels ; ces messieurs ne dissimulaient pas tout à fait leurs sentiments républicains, mais ils voyaient que je courais joindre une armée qui devait couper court à ces sentiments et à leur influence.

Entre Mayence et Bingen, je fus témoin d’une scène qui me révéla d’abord l’esprit du jour. Notre léger équipage n’avait pas tardé à atteindre une voiture à quatre chevaux pesamment chargée. Le chemin creux, abîmé, montant, nous obligea de mettre pied à terre et nous demandâmes aux postillons, descendus également, quels voyageurs cheminaient devant nous : le cocher