Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/463

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gauche forme contre le fond une belle silhouette ; on voit de ce côté-là assez du front, de l’œil, du nez, de la barbe, pour que la tête s’arrondisse et prenne une vie propre. En revanche, Vespino efface entièrement l’œil gauche et ne laisse voir du front et de la barbe, du côté gauche, qu’autant qu’il en faut pour produire l’expression dure et hardie d’un visage relevé, intéressant, il est vrai, mais qui conviendrait mieux à des poings fermés qu’à des mains qui se présentent ouvertes.

Judas. Concentré, effrayé, regardant avec angoisse en haut et derrière lui ; le profil anguleux, sans exagération ; ce n’est point une figure repoussante, car le bon goût ne pourrait souffrir auprès d’hommes si vertueux et si purs un véritable monstre. Vespino, au contraire, en a fait un de son Judas, et l’on ne peut nier que, prise à part, cette tête n’ait beaucoup de mérite. Elle exprime vivement une joie maligne et hardie ; elle ressortirait parfaitement dans la populace, triomphante devant l’Ecce homo et criant : « Crucifie I crucifie ! » Elle conviendrait aussi pour un Méphistophélès, dans le moment le plus satanique. Mais, de crainte et d’effroi unis à la dissimulation, à l’indifférence et au mépris, on n’en voit pas une trace. Les cheveux hérissés vont bien à l’ensemble ; toutefois leur exagération ne peut aller qu’avec l’énergie et la violence des autres têtes de Vespino.

Saint Pierre. Figure très-problématique. Elle n’offre déjà chez Marcus que l’expression de la douleur ; on ne peut y voir ni colère ni menace ; elle exprime également quelque angoisse. 11 est possible que Léonard n’ait pas été ici d’accord avec luimême, car il est difficile de faire paraître à la fois sur un visage la cordiale sympathie pour un maître chéri et la menace pour le traître. Cependant le cardinal Borromée prétend avoir vu de son temps ce prodige. Mais, si éloquentes que soient ses paroles, nous avons lieu de croire que le cardinal ami des arts a plutôt rendu son sentiment que le tableau ; autrement nous ne saurions justifier notre Vespino, dont le Pierre a une expression désagréable. Il semble un dur capucin, qui va réveiller les pécheurs par un sermon de carême. Il est étrange que Vespino lui ait donné des cheveux hérissés, tandis que le Pierre de Marcus a une belle tête frisée aux cheveux courts.