Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/466

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

copie de Castellazzo, la tête du Sauveur a été peinte par Léonard lui-même, et qu’il a risqué dans un travail étranger ce qu’il n’a pas voulu entreprendre dans son propre tableau. Nous n’avons pas cette copie sous les yeux, mais nous pouvons dire que le calque répond parfaitement à l’idée qu’on se fait d’un homme généreux, oppressé d’une douleur -morale dont il a voulu se soulager par un épanchement qui, loin d’alléger le mal, l’a rendu plus grave encore.

Au moyen de cette marche comparative, nous nous sommes assez approchés des procédés de l’artiste éminent, tels qu’il les a expliqués et démontrés d’une manière claire et détaillée dans ses récits et ses tableaux, et nous trouvons heureusement l’occasion de faire un pas de plus. On conserve dans la bibliothèque Ambrosienne un dessin authentique de Léonard ; il est sur papier bleu, avec un peu de crayon blanc et de couleur. Le chevalier Bossi en a donné un fac-simile fort exact. C’est un noblfi visage de jeune homme, dessiné d’après nature, manifestement avec l’intention d’en faire usage pour la tète de Christ dans le tableau de la Cène. Des traits purs, réguliers, les cheveux unis, la tête inclinée du côté gauche, les yeux baissés, la bouche entr’ouverte, et toute la figure mise dans la plus belle harmonie par un léger trait de tristesse. Là, rien de plus, il est vrai, que l’homme qui ne dissimule pas une souffrance morale ; mais comment, sans effacer cet aveu, devrait-on exprimer la sublimité, l’indépendance, la force, la puissance de la divinité ? C’est une tâche difficile à remplir pour une main terrestre, quelque génie qui la guide. Dans cette figure de jeune homme, qui flotte enlre le Christ et saint Jean, nous voyons une tentative suprême pour s’attacher à la nature, quand il s’agit d’exprimer le surhumain.