Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/473

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L’AVOCAT.

Mais vous rangerez pourtant le singe parmi les amateurs sans culture ?

LE SPECTATEUR.

Sans doute, et de plus parmi les curieux. Vous faites naître, chez moi une singulière pensée. L’amateur sans culture demanderait-il peut-être qu’une œuvre d’art fût naturelle, afin de pouvoir en jouir d’une manière naturelle, souvent grossière et commune ?

L’AVOCAT.

C’est tout à fait mon avis.

LE SPECTATEUR.

Et vous soutenez qu’un artiste s’abaisse, de poursuivre cet effet ?

L’avocat. C’est ma ferme conviction.

LE SPECTATEUR.

Mais je sens encore ici une contradiction. Vous m’avez fait l’honneur de me ranger du moins dans le nombre des amateurs à demi cultivés.

L’AVOCAT.

Parmi les amateurs qui sont en chemin de devenir connaisseurs.

LE SPECTATEUR.

Eh bien, dites-moi comment il se fait qu’une œuvre d’art parfaite me semble une œuvre naturelle ? .. ’ L’avocat.

Parce qu’elle s’harmonise avec votre meilleure nature, parce qu’elle est supra-naturelle, mais non extra-naturelle. Une œuvre d’art parfaite est une œuvre de l’esprit humain, et, dans ce sens, elle est aussi une œuvre de la nature. Mais, en tant que les objets épars sont réunis et que même les plus communs sont pris dans leur valeur et leur dignité, cette œuvre est audessus de la nature. Elle veutêtre saisie par un esprit qui est né et cultivé avec harmonie, et cet esprit trouve l’excellent, le parfait en soi, conforme aussi à sa nature. C’est de quoi l’amateur vulgaire n’a aucune idée ; il traite une œuvre d’art comme une marchandise qu’il trouve au marché ; mais l’amateur éclairé ne