Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/501

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tères marquants, qu’on voyait agir à côté et autour de soi, avaient amené la civilisation romaine au point admirable où la force et la gravité pouvaient se marier avec la grâce, un langag-e énergique, violent, avec la bienveillance. De là se développa par degrés le siècle d’Auguste, où des mœurs plus délicates cherchèrent à faire disparaître la grande distance du maître aux sujets, et qui présenta dans leur perfection le bon et le beau auxquels les Romains étaient capables d’atteindre. Dans la suite, un accommodement ne fut plus imaginable ; du forum, la tyrannie relégua l’orateur dans l’école ; elle concentra le poète.en luimême. Suivant donc cette période par la pensée avec un vif intérêt, si j’ai commencé avec Lucrèce, je finis avec Perse, qui, enveloppant dans des maximes sibyllines le plus amer mécontentement, exprime son désespoir dans de sombres hexamètres.

Que la marche de Lucrèce est plus libre encore ! A la vérité, il est gêné par les orages du temps, qui troublent son heureux loisir ; il fuit le théâtre du monde ; il déplore l’absence de son excellent ami 1 et se console en lui communiquant ses méditations sublimes. Et qu’est-ce proprement qui l’oppresse ? Depuis la fondation de Rome, l’homme d’État, le guerrier, ont, selon le besoin, tiré de la superstition les plus grands avantages ; mais, si l’on croyait recevoir des dieux favorables de fidèles avis par le vol des oiseaux et l’état des entrailles d’une victime ; si le ciel semblait s’intéresser aux croyants, ils n’étaient pas à l’abri des terreurs de l’enfer ; et comme l’horrible ébranle toujours plus que le doux ne peut apaiser, les flammes fumantes de l’enfer obscurcissaient l’éther olympien, et la Gorgone stygienne effaçait toutes les pures et paisibles images des dieux qu’on avait arrachés à leurs belles demeures et traînés à Rome en esclavage.

Dès lors les esprits faibles s’appliquaient toujours plus à détourner les présages menaçants et à se délivrer heureusement de la peur. Cependant l’inquiétude et l’angoisse croissaient, une vie après la mort paraissant toujours plus désirable, avec la misérable vie qu’on menait sur la terre : mais qui garantis-


l. C. Gemelltis Memitiius.