Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/57

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à une certaine distance les uns des autres, et tout se passait avec beaucoup d’ordre et de tranquillité. Le pays était désert, et cette grande solitude donnait à penser. Montant, descendant les collines, nous avions traversé Mangienne, Damvillers, Vauville et Ormont, lorsque, sur une hauteur, d’où l’on avait une belle vue, une détonation se flt entendre à droite dans les vignes. Les hussards y coururent, pour fouiller dans les environs, et ils amenèrent en effet un homme barbu, aux cheveux noirs, qui avait l’air assez sauvage et sur lequel on avait trouvé un mauvais pistolet. Il dit hardiment qu’il chassait les oiseaux de sa vigne et qu’il ne faisait de mal à personne. Le commandant, après un moment de silence et de réflexion, pendant lequel il parut combiner ce cas avec ses instructions modérées, relâcha le prisonnier menacé, en lui donnant quelques coups de plat de sabre, sur quoi le gaillard s’enfuit si précipitamment, que nos gens lui ayant jeté son chapeau en poussant des cris de joie, il ne sentit pas la moindre envie de le reprendre.

La troupe avançait, nous nous entretenions des incidents et de tout ce qu’on pouvait attendre. Il faut remarquer que notre petite société, telle qu’elle s’était jointe aux hussards, s’était formée à l’aventure des élémenls les plus hétérogènes ; la plupart étaient des hommes d’un sens droit, livrés au moment, chacun à sa manière. Mais il en est un que je dois distinguer, un homme très-estimable, tel qu’on en rencontrait souvent à cette époque dans l’armée prussienne, sérieux, avec une certaine humeur hypocondre, silencieux, concentré, et disposé, avec une ardeur délicate, à faire le bien. Comme nous avancions de la sorte, nous eûmes une rencontre aussi singulière qu’agréable. Deux hussards remontaient de notre côté la montagne, amenant une petite charrette à deux roues, attelée d’un seul cheval, et, quand nous demandâmes ce qui pouvait se trouver sous la toile tendue par-dessus, nous vîmes un petit garçon de douze ans qui conduisait le cheval, et, dans un coin, une jeune fille ou femme merveilleusement belle, qui se pencha en avant pour*regarder les nombreux cavaliers dont sa petite voiture était entourée. Nul ne resta indifférent, mais nous dûmes laisser le soin de s’employer pour la belle à notre sensible ami, qui, dès l’instant où il eut considéré de près l’équipage en détresse, se