Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/66

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tuée sur la place, présentait un magasin de faïence, bien éclairé par de nombreuses fenêtres. On nous fit observer qu’une bombe, rejaillissant de la place, avait heurté le faible montant de pierre de la porte du magasin, et avait reçu de ce choc une autre direction. Le montant était en effet endommagé, mais il avait fait l’office d’un bon défenseur : la fragile porcelaine faisait briller ses reflets magnifiques derrière les vitrages bien essuyés, transparents comme l’eau la plus pure.

A midi nous fûmes régalés à table d’hôte d’un bon gigot et de vin de Bar, qu’il faut consommer dans le pays, parce qu’il ne supporte pas la voilure. C’est l’usage à ces tables de donner des cuillers, mais non des couteaux et des fourchettes, qu’il faut apporter avec soi. Informés de cette coutume, nous nous étions fournis de ces ustensiles, qu’on fabrique dans le pays, d’une forme élégante et commode. Dejoyeuses et résolues jeunes filles nous servirent, comme elles avaient servi, les jours précédents, leur garnison.

Cependant la prise de possession de Verdun fut troublée par un cas unique, il est vrai, mais qui produisit une grande sensation et inspira une sympathie générale. Comme les Prussiens entraient, il partit de la foule du peuple un coup de fusil qui ne blessa personne. Un grenadier français ne put ni ne voulut nier cet acte téméraire. J’ai vu ce soldat au corps de garde, où on l’avait conduit. C’était un très-beau jeune homme, bien fait, au regard assuré, à la contenance tranquille. En attendant que son sort fût décidé, on le laissa en liberté. Près du corps de garde était un pont, sous lequel passait un bras de la Meuse : il s’assit sur le parapet, demeura quelque temps immobile, puis, se renversant en arrière, il se jeta dans l’eau. Il en fut retiré mort.

Ce deuxième acte héroïque, et qui disait beaucoup pour l’avenir, excita une haine passionnée chez les nouveaux envahisseurs, et j’entendis des personnes, d’ailleurs sensées, soutenir qu’on ne devrait accorder une sépulture honorable ni à cet homme ni au commandant. On s’était, il est vrai, promis d’autres sentiments, et l’on ne voyait pas encore chez les troupes françaises le moindre mouvement pour passer à nous.

Mais le récit de la réception que Verdun avait faite au roi de Prusse rendit les cœurs à la joie. Quatorze jeunes filles, les plus