Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/79

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avouer qu’elles avaient présumé plutôt que vu ce qu’elles avaient annoncé.

Cependant l’impulsion était donnée, et l’armée reçut l’ordre d’avancer, mais sans aucuns bagages ; toutes les voitures durent rétrograder jusqu’à Maison-Champagne pour y former une barricade et attendre, comme on le présumait, l’heureuse issue d’une bataille.

Je n’hésitai pas un moment sur ce que j’avais à faire ; je laissai la voiture, le bagage et les chevaux à mon domestique, qui était soigneux et résolu’, et je montai aussitôt à cheval avec mes compagnons de guerre. Nous avions déjà reconnu souvent dans nos entretiens que l’homme qui s’engage dans une expédition doit suivre constamment les troupes régulières, quelle que soit la division à laquelle il s’est joint : là, en effet, ce qui peut nous arriver est toujours honorable, tandis que stationner auprès des bagages est à la fois honteux et dangereux. J’étais donc convenu avec les officiers du régiment que je me joindrais toujours à eux et, autant que possible, à l’escadron des gardes du corps, voulant par là fortifier toujours davantage de bonnes et belles relations.

Nous reçûmes l’ordre de côtoyer en le remontant le ruisseau de la Tourbe, qui arrose la plus triste vallée du monde, entre des collines basses, sans arbres et sans buissons. Il était prescrit sévèrement de marcher dans le plus grand silence, comme si nous eussions voulu surprendre l’ennemi, qui cependant, posté comme il l’était, ne pouvait guère ignorer l’approche d’une masse de cinquante mille hommes. La nuit vint : point de lune ; pas une étoile ; un vent furieux mugissait ; le mouvement silencieux d’une si longue file d’hommes dans une obscurité profonde était une chose tout extraordinaire.

En chevauchant à côté de la colonne, on rencontrait souvent des officiers de connaissance, qui allaient et venaient pour accélérer ou ralentir la marche. On s’arrêtait, on se groupait, on causait. Une douzaine de personnes, connues et inconnues, s’étaient ainsi réunies. On s’interrogeait, on se plaignait, on s’étonnait, on grondait et l’on raisonnait. On ne pouvait pardonner au général d’avoir troublé le dîner. Un joyeux convive souhaita une saucisse et du pain ; un autre éleva ses désirs jusqu’au rôti