Page:Goethe - Faust, traduit par Albert Stapfer, 1828.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ouvrage va, grace à M. Delacroix, reprendre la physionomie franche et originale qui lui appartient, et dont nous l’avions dépouillé à leurs yeux.

Il est à propos d’avertir ces personnes-là que la tragédie de Faust, écrite en vers d’un bout à l’autre et en vers rimés, ce qui n’est pas, comme on sait, une condition indispensable de la versification allemande, se divise néanmoins en deux parties fort distinctes, dont l’une est toute dramatique, l’autre toute lyrique.

Dans la partie dramatique, le style varie selon les situations et selon les personnages : tantôt comique et tantôt sérieux, il passe tour-à-tour, et souvent sans aucune transition, du dernier degré du burlesque au pathétique le plus déchirant, de l’expression de ce qu’il y a de plus abject dans la nature humaine à celle des plus hautes pensées, des sentiments les plus exaltés et les plus purs, qui puissent traverser le cœur ou l’esprit de l’homme. Mais comme, au milieu de ces disparates de détail. il ne perd pourtant jamais son caractère distinctif, qui est celui d’une extrême simplicité; comme le ton du dialogue reste toujours celui de la conversation ordinaire, il ne nous a point paru impossible de traduire en prose toute cette partie de l’ouvrage de M. de Goethe ": nous avons cru même pouvoir le faire sans trop altérer, ni la couleur de l’ensemble, ni les teintes diverses, si multipliées et parfois si tranchées, qui la nuancent. Au moins aurions-nous éprouvé des difficultés beaucoup plus grandes à humilier le vers français jusqu’au ton vulgaire de certains passages, que nous n’en avons eu d’élever la prose au ton inspiré de certains autres.

Il n’en va pas ainsi de la partie lyrique, qui occupe dans Faust une assez grande place. On y rencontre ça et là des chansons, des romances, des chants d’esprits célestes et d’esprits infernaux, des chœurs de sorciers et de sorcières, des formules magiques, tous morceaux d’une poésie cadencée, dont le principale charme consiste, pour la plupart, soit dans le choix du rhythme et l’arrangement des vers, soit même uniquement dans la désinence des rimes. Ici nous n’eussions pu nous permettre la prose sans manquer au premier devoir d’une traducteur, à l’exactitude; il, il faut le dire, nous avons senti dans ce cas particulier d’autant moins de répugnance à le remplir, que, de chercher à nous y soustraire c’eût été courir-au-devant d’obligation plus dures encore : car il aurait fallu suppléer au défaut de rhythme par des tours de force, que nous avouons au-dessus de notre portée, et qui nous semblent même à-peu-près impossibles.

Ainsi donc, tout ce qui se chante et en somme tous les morceaux du poème, au mérite desquels le mécanisme de la versification concourt pour une forte part, nous avons employé une versification analogue pour les rendre; et, à l’égard de la portion de l’ouvrage, à laquelle notre prose a enlevé sa forme poétique, nous avons fait ce qui dépendait de nous pour y conserver, aux tournures quelque chose