Page:Goethe - Le Renard, 1861, trad. Grenier.djvu/43

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on en retira cinq au bord. Voyant ses ennemis ainsi occupés, Brun se glissa en rampant dans l'eau; ses atroces douleurs le faisaient hurler; il aimait mieux se noyer que d'être assommé de coups si ignominieux. Il n'avait jamais essayé de nager et il espérait en finir du coup avec la vie. Contre son attente, il se sentit nager et porter sans encombre par le courant. Tous les paysans le virent et s'écrièrent: «Ce sera pour nous une honte éternelle!» Ils étaient désolés et ils s'en prirent aux femmes: «Que ne restiez-vous à la maison! Regardez, il nage, il s'en va.» Ils revinrent dans la cour pour revoir le tronc de chêne et ils y trouvèrent encore la peau et les poils de la tête et des pieds; ils en rirent en disant: «Tu reviendras une autre fois, nous avons les oreilles en gage!» C'est ainsi qu'ils se moquaient de l'ours après lui avoir fait tant de mal, mais il était bien heureux d'en être quitte ainsi. Il maudissait les paysans qui l'avaient battu, se plaignait de la douleur qu'il ressentait aux pieds et aux oreilles; il maudissait Reineke, qui l'avait trahi. C'est dans ces pieuses pensées qu'il nageait, et la rivière, qui était rapide et grande, le porta en peu de temps près d'une lieue plus loin; là, il aborda et se mit à gémir: «Le soleil a-t-il jamais vu animal plus en détresse!» Et il ne croyait pas pouvoir passer la journée; il pensait mourir sur l'heure, et il s'écriait: «Ô Reineke! traître, perfide, créature sans foi!» et il pensait aux coups des paysans, il pensait au tronc de chêne et il maudissait les ruses de Reineke.

Pour le renard, lorsqu'il eut ainsi conduit son oncle à la recherche du miel, il se mit à courir après des poulets dont il connaissait le gîte. Il en attrapa un et s'enfuit en traînant son butin au bord de la rivière.