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Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/139

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amis ; j’avais une paire de pistolets non chargés, et je dormais tranquille. Un après-dîner que le temps était pluvieux et que j’étais à ne rien faire, je ne sais comment il me vint dans l’idée que nous pourrions être attaqués, que je pourrais avoir besoin de mes pistolets, et que… Vous savez comment cela va. Je les donnai au domestique pour les nettoyer et les charger. Il se mit à badiner avec la servante en cherchant à lui faire peur, et, Dieu sait comment, le pistolet part, la baguette étant encore dans le canon, la baguette va frapper la servante à la main droite et lui fracasse le pouce. J’eus à supporter les cris, les lamentations, et il me fallut encore payer le traitement. Aussi, depuis cette époque, mes armes ne sont-elles jamais chargées. Voyez, mon cher, à quoi sert la prévoyance ! On ne voit jamais le danger. Cependant… » Tu sais que j’aime beaucoup Albert ; mais je n’aime pas ses cependant ; car n’est-il pas évident que toute règle générale a des exceptions ? Mais telle est la scrupuleuse équité de cet excellent homme ; quand il croit avoir avancé quelque chose d’exagéré, de trop général ou de douteux, il ne cesse de limiter, de modifier, d’ajouter ou de retrancher, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de sa proposition. À cette occasion il se perdit dans son texte. Bientôt je n’entendis plus un mot de ce qu’il disait ; je tombai dans des rêveries ; puis tout à coup je m’appliquai brusquement la bouche du pistolet sur le front, au-dessus de l’œil droit. « Fi ! dit Albert en me reprenant l’arme,